L’association les Pot’iront, en banlieue lyonnaise, c’est comme un jardin ouvrier géant, mais collectif, avec un maraîcher professionnel en chef d’orchestre. Le mieux est encore d’aller les voir.
Écoutez cet article, lu par B. Huet :
« Bon, le temps va se gâter. On va commencer par le plein champ, comme ça, après, on pourra se mettre à l’abri sous les tunnels. » Emmanuelle et Antoine sont à la baguette. Autour d’eux, sous la serre aménagée, la quinzaine de participants porte bottes, gants et bonnets. Le temps est à la grisaille et au froid, mais le sol n’est pas gelé. Les deux coordinateurs ont organisé le travail en fonction de la météo, mais surtout selon les consignes de Vincent Cognil, le maraîcher présent sur le terrain en semaine. Le professionnel n’est pas là – sûrement au chaud dans son lit –, nous sommes dimanche matin. « On va constituer trois groupes. Un pour ramasser les poireaux, un pour les carottes et un pour les navets, reprend Emmanuelle. Et il faudrait deux personnes à la découpe des courges. Peut-être celles qui ont des problèmes de dos ? » Les équipes se forment rapidement, les travailleurs du dimanche ne manquent pas d’entrain. Nous sommes à Décines, dans la ceinture verte lyonnaise. Les volontaires du jour font partie de l’association Les Pot’iront. Si tout se passe comme prévu, ils vont constituer 97 paniers de légumes pour l’ensemble des adhérents, en quatre heures. Dimanche prochain, ce sont d’autres membres qui feront le travail.
Du bio accessible
Voilà quinze ans que la plupart des dimanches, les adhérents se retrouvent à tour de rôle sur ce terrain de 3 hectares, dont la moitié est cultivée. Planter, désherber, cueillir, installer des tunnels, tenir à distance les sangliers, entretenir les bâtiments, tailler les fruitiers, retourner du compost… L’idée des Pot’iront est simple : en donnant de leur travail, les adhérents bénéficient de fruits et légumes moins chers que s’ils les achetaient dans le commerce. Chacun s’engage à donner au moins huit journées de travail dans l’année, en échange d’un énorme panier hebdomadaire. Beaucoup sont d’ailleurs partagés entre deux adhérents, qui s’engagent alors l’un et l’autre pour quatre journées. Bref : les 166 adhérents des Pot’iront paient leur panier bio environ 13 euros quand celui-ci coûterait le double dans le commerce. L’autonomie n’est pas totale : les Pot’iront bénéficient de la mise à disposition du terrain par la commune et de quelques subventions pour les investissements, comme la réfection de clôtures ou le plantage de haies. Et bien sûr, le travail bénévole ne suffit pas : le prix du panier hebdomadaire permet le financement d’un poste de maraîcher à temps plein.
Les pas sont lourds de terre. Aux poireaux, Bob et Catherine s’affairent à la fourche. Marion et Lubin ramassent, nettoient les racines, retirent les feuilles abîmées, puis disposent les légumes dans la cagette. Ils sont ensuite chargés sur une brouette et amenés sous l’abri. La mission poireaux est bouclée en 30 minutes. « La journée passe vite, on fait plein de choses différentes », raconte Catherine. La totalité des poireaux pesée, le poids est divisé par 97. Les sacs qui font office de paniers ont été préalablement disposés sur les tables, classés selon leur destination. « Ça nous fait un poireau et demi par personne », s’amuse Antoine. Un gros, deux petits… Une dernière main fait la liaison entre la balance et les paniers.
« J’affine le plan de culture d’une année sur l’autre avec les adhérents, avec, en tête, le contenu des paniers hebdomadaires. Un peu moins de fenouil, un peu plus de mâche… Et chaque semaine, on ajuste le contenu en fonction de l’état des cultures, explique Vincent, le maraîcher, contacté plus tard. Pour dimanche, on avait prévu de la mâche, mais elle est encore trop petite. Donc j’ai passé pour consigne de compenser avec des parts de courge. C’est pour ça que c’est très difficile de donner un prix au panier. Les membres s’engagent pour un an, il y a de très bonnes années, d’autres très mauvaises, et l’été, les paniers sont plus gros que l’hiver. C’est donc aussi un engagement de la part des adhérents. Moi, ça m’épate de voir qu’on a chaque saison une centaine de paniers, alors qu’on dit partout que les gens ne veulent plus s’engager. »
Passe à ton voisin
Ce dimanche, les adhérents repartiront avec une part de courge, un bouquet de persil, un radis noir ou blanc, de la chicorée, des navets, du chou lisse, des carottes, une tête d’ail… « Et la laitue, on la cueillera en dernier pour la mettre sur le panier, pour pas qu’elle s’écrase ? », suggère Antoine.
Les adhérents font partie d’une équipe d’environ dix personnes regroupées en fonction de leur lieu de résidence. Ils choisissent leurs dimanches travaillés, au sein de leur équipe. Ainsi, il y a chaque dimanche au moins un représentant de chaque secteur. À la fin de la journée, les travailleurs du jour chargent donc dans leur voiture leur panier, ainsi que ceux correspondant à leur secteur. « Certains le laissent dans le hall de leur immeuble, ou devant leur maison, ou font la distribution directement depuis leur coffre. On s’arrange pour que ce soit le plus simple possible pour le livreur du jour », explique Noé pendant la pause café. On sort thermos, gâteaux. Parmi les sujets de conversation, la choucroute, bientôt à maturité.
Fabien Ginisty