La firme Blablacar a le monopole sur le covoiturage. Ainsi, 15 millions de Français paient une « taxe » privée pour accéder à ce qui devrait être un service public.
Des citoyens lancent une alternative : une plateforme coopérative qui met gratuitement en relation les covoitureurs.
Treize millions de personnes en France utilisent quotidiennement leur voiture pour aller travailler, parmi lesquelles 9 sur 10 ne transportent qu’elles-mêmes (1). Pour résoudre cette absurdité aux conséquences graves, le covoiturage apparaît comme une des solutions simples et faciles à mettre en œuvre.
En ces temps disruptifs, la collectivité compte sur les initiatives privées pour répondre à l’intérêt général. Avec les « investissements d’avenir », elle subventionne des entreprises pour s’implanter sur le « segment » du covoiturage courte distance. Ces entreprises sont parfois des multinationales, comme Blablacar, dont la valeur est estimée à 1,4 milliard d’euros (2).
« On est allé assez loin sur le covoiturage longue distance. On peut dire que c’est démocratisé.
Maintenant, tout ce qui est domicile-travail et courte distance, ça reste une part du gâteau énorme »
explique Nicolas Brusson, l’actuel directeur général de Blablacar (3).
La « démocratisation » du covoiturage
On voit ce que donne la « démocratisation » du covoiturage à la sauce Blablacar : lever des fonds considérables de manière à proposer un service gratuit, le temps d’étouffer les concurrents, de les racheter s’ils sont trop coriaces, et d’obtenir ainsi le monopole.
Ensuite, Blablacar a les mains libres pour imposer ses conditions aux utilisateurs : récupération des données personnelles, et surtout, paiement d’une commission dont le montant est, bien sûr, plus élevé que le service rendu : c’est le principe du capitalisme, il faut rémunérer le capital.
On voit mal Bill Gates faire du covoiturage : si ce mode de mobilité explose, c’est avant tout parce qu’il est le moins cher. On peut même avancer que parmi les 15 millions de Français inscrits sur Blablacar (4), beaucoup sont contraints de faire du covoiturage car ils n’ont pas, ou plus les moyens de faire autrement : supporter seuls les frais d’essence, acheter une voiture, prendre le train – parce qu’il est trop cher, ou que le service est défaillant.
Un chiffre pour s’apercevoir de l’ampleur qu’a pris Blablacar : près de la moitié des 18-25 ans ont donné leur nom, leur âge, leur localisation et très souvent leur photo, leurs « centres d’intérêt » et leur numéro de compte à la plateforme (4).
Appel lancé à tous les covoit’
Conclusion : de riches investisseurs privés font de l’argent sur la paupérisation d’une partie croissante de la société, le tout avec l’assentiment des pouvoirs publics.
Le covoiturage pourrait-il exister autrement ?
Nicolas Raynaud pense que oui. En 2011, il a mis au point une plateforme gérée par une association : Covoiturage libre. Par leur travail bénévole, Nicolas et les autres ont construit en quelques semaines une véritable alternative à Blablacar. La mise en relation n’est même pas effectuée à prix coûtant, elle est gratuite. Tout repose sur le bénévolat et les dons des utilisateurs, qui permettent de payer le matériel et l’infrastructure informatique. Et ça a marché : la communauté a rapidement compté des dizaines de milliers de membres.
Les bénévoles se sont accrochés pour gérer le succès…
« On change de statut et de nom, mais la philosophie reste la même : on considère que le covoiturage est un bien commun, que la plateforme doit appartenir à ceux qui s’en servent. »
Bastien Sibille est le dernier président de l’association Covoiturage libre. Le voilà désormais premier président de la coopérative Mobicoop, qui a repris l’activité de l’association en novembre.
« Ce statut permet aux utilisateurs de devenir, s’ils le souhaitent, associés de la coopérative. Avec cet argent, on pourra vraiment développer le site internet pour proposer un meilleur service, et ne plus compter uniquement sur le travail bénévole. »
Dans la continuité de l’association, la coopérative s’engage à « ne prendre aucune rémunération sur les trajets réalisés » et à « protéger les données des utilisateurs ».
Les revenus seront tirés des dons, ainsi que de prestations aux collectivités et entreprises pour la mise en place et l’accompagnement de plateformes spécifiques. Pour éviter le piège d’un fonctionnement très hiérarchisé où : « on demande aux associés de voter une fois par an pour l’équipe en place sans leur donner la possibilité de délibérer véritablement».
Mobicoop fait la part belle dans ses statuts aux méthodes dites de « sociocratie », afin de faciliter l’implication des associés dans la vie quotidienne de la coopérative. L’appel à souscription a été lancé début novembre (5).
L’objectif de Mobicoop est de réunir au moins 20 000 coopérateurs dans ses assemblées générales et de collecter au moins 2 millions d’euros – la part vaut 100 euros. Pas de quoi s’implanter dans 22 pays, ou de racheter Ouibus (6)…
Simplement permettre aux usagers de se réapproprier le covoiturage, et leur donner les moyens de ne pas dépendre de l’ogre Blablacar.
Fabien Ginisty
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1 – D’après Eurostat.
2 – D’après Europe1.fr, en 2015.
3 – En novembre 2018 sur BFM Business
4 – D’après Blablacar.
5 – Pour plus d’information sur Mobicoop.
6 – Blablacar a racheté Ouibus à la SNCF en novembre pour « développer l’intermodalité ».