La situation proche de la guerre civile en Nouvelle-Calédonie est directement imputable au pouvoir macroniste, qui a multiplié les manœuvres pour garder l’île dans le giron français.
Écoutez cet article, lu par Benjamin Huet :
L’aéroport de Nouméa sera resté fermé pendant 3 semaines – si la date de réouverture prévue au 2 juin est maintenue. Les Français et les touristes étrangers présents en Nouvelle-Calédonie ont été évacués via des avions militaires affrétés par la France, l’Australie et la Nouvelle Zélande. Au 24 mai, le bilan était de sept morts, dont deux gendarmes et une personne tuée par un militaire. Le président Macron, qui s’est rendu sur place, a parlé d’un « mouvement d’insurrection absolument inédit », ajoutant que « personne ne l’avait vu venir avec ce niveau d’organisation et de violence ».
Des chercheurs spécialistes de la région avaient pourtant prévenu : les agissements du gouvernement vis-à-vis de ce territoire, depuis plusieurs années, risquaient de mettre le feu aux poudres. Mais ces mises en garde n’ont pas été écoutées. Jusque-là, l’État pouvait pourtant s’appuyer sur l’accord de Nouméa signé en 1998, sans doute imparfait mais surtout remarquable à bien des égards. Les signataires – État français et responsables politiques locaux – y affirment que « le moment est venu de reconnaître les ombres de la période coloniale » et posent les bases d’un respect mutuel, en rétablissant quelques vérités historiques. Extrait : « Lorsque la France prend possession de la Grande Terre, que James Cook avait dénommée “Nouvelle-Calédonie”, le 24 septembre 1853, elle s’approprie un territoire selon les conditions du droit international alors reconnu par les nations d’Europe et d’Amérique, elle n’établit pas des relations de droit avec la population autochtone. Les traités passés, au cours de l’année 1854 et les années suivantes, avec les autorités coutumières, ne constituent pas des accords équilibrés mais, de fait, des actes unilatéraux. Or, ce territoire n’était pas vide. La Grande Terre et les îles étaient habitées par des hommes et des femmes qui ont été dénommés kanak. »
UN SCORE DE 96,49 % DES VOIX…
Qu’en est-il une vingtaine d’années plus tard ? L’accord de Nouméa prévoyait jusqu’à trois référendums portant sur la question de l’indépendance de l’île. Le premier, organisé en 2018, marque la victoire des loyalistes (favorables au maintien dans le giron français) par 56,67 % des voix. En 2020, la question est de nouveau posée et l’écart se ressère : le « non » ne recueille plus que 53,26 %. Le score allait-il basculer lors de la troisième et dernière consultation prévue par l’accord de Nouméa ? Contre l’avis du FLNKS (principal mouvement indépendantiste), qui souhaite l’organiser en octobre 2022, le gouvernement décide d’accélérer le calendrier et fixe le rendez-vous en décembre 2021. L’île est alors fortement touchée par le Covid, de nombreux décès sont à déplorer. La période de deuil faisant partie intégrante de la culture kanak, les indépendantistes réclament le report du scrutin. N’étant pas écoutés, ils appellent au boycott. Résultat : le « non » l’emporte avec 96,49 % des voix ! Un résultat sur lequel va s’appuyer le gouvernement pour déclarer clos l’accord de Nouméa et tourner la page de la question de l’indépendance.
Mais les manoeuvres et manipulations ne s’arrêtent pas là. Car le dégel du corps électoral est encore une façon d’ôter du pouvoir aux kanaks. Michel Naepels, anthropologue et chercheur au CNRS, parle même de « recolonisation » : « Modifier les corps électoraux qui définissent l’Assemblée de Nouvelle Calédonie et collégialement le gouvernement de Nouvelle Calédonie, [revient à] modifier le poids des différentes communautés. […]. C’est effectivement s’assurer d’une majorité toujours renouvelée par l’arrivée de nouveaux métropolitains. Et ça, c’est effectivement une recolonisation. »* Aux dernières nouvelles, Macron a annoncé l’envoi de forces de l’ordre (dont le RAID et le GIGN), de blindés et d’hélicoptères, en prévenant : la France, « c’est pas le Far West ! »
Nicolas Bérard
* Sur France culture, dans l’émission Le temps du débat du 21 mai.