La peau près des étincelles incandescentes, les mains toutes proches des pierres brûlantes, les flammes au corps… Benjamin est homme de feu dans une hutte de sudation en Ardèche. Un rituel énergétique puissant où il cause avec le feu, essaie de l’apprivoiser et accompagne les autres à brûler leurs angoisses.
« J’aime jouer avec le feu. Mais j’aime pas me brûler ! » Les pieds qui crissent dans les feuilles mortes, Benjamin, longue écharpe jaune nouée autour du cou, fredonne cette chanson des Sheriff, un groupe de punk-rock français. Le musicien, fan de thrash metal (1), est aussi homme de feu dans la montagne ardéchoise. Il est chargé de construire et allumer le feu qui va chauffer au rouge les pierres volcaniques déposées dans une hutte de sudation, cette grande tente de sueur où l’on passe plusieurs heures dans la chaleur. Un rituel nord-amérindien qui permet de se connecter aux esprits et aux forces de la nature.
En pleine forêt, Benjamin dépose quelques branches sur le sol pour montrer comment on lance un feu presque sacré. Il place deux gros rondins parallèles dans un sens et deux dans l’autre pour faire un quadrillage. Ensuite, il en ajoute plein pour que le dessus soit fermé. En-dessous, il fait un tas de pommes de pin. Enfin, la chamane lui demande d’allumer le feu, à l’ouest, au nord, à l’est et enfin au sud. « Quand ça commence à cramer, tu prends cher. C’est du pin, c’est assez sec et tu es quand même proche des flammes. Je ne me suis pas brûlé, mais j’ai senti la chaleur sur mon visage et mes mains. Au point de me mettre une écharpe mouillée autour du visage. »
Brûleur de pierres
Les flammes se lancent. Et Benjamin commence à glisser les pierres de basalte au cœur du feu. Il est le seul à pouvoir pénétrer dans le cercle du feu, le seul à pouvoir s’approcher du foyer, un bon gros carré de deux mètres de côté. « Les gens viennent me donner leur pierre, dans laquelle ils ont placé une intention. C’est un moment fort, je la prends et la dépose. Eux se libèrent de quelque chose à ce moment-là. » Les chants se lancent, on joue du tambour chamanique. Les gens sont réunis autour des flammes. Il commence à faire nuit et les participants se déshabillent pour entrer dans la hutte de sudation. « Le début du feu permet de lâcher le mental, ça marque l’entrée dans le truc. » Benjamin surveille, remet des bûches. Les pierres « tellement belles » commencent à emmagasiner la chaleur. Les premiers troncs consumés s’écroulent sous le poids des pierres qui se retrouvent au milieu « de braises de fou ».
Le crépitement résonne autour des pins. Cela fait deux heures que le feu est lancé. Et l’on commence à distinguer des formes, des âmes dans les flammes et les pierres. « Quand je prends les pierres très rouges, je vois des visages de sorcière, de dragon. Il y en a une, c’était une pierre de lune, avec les cratères et tout. C’était vraiment trop beau », lance-t-il calmement. Avec une fourche et de gros gants de chaudronnier, il sort les pierres et les met à terre. Il les frotte avec des branches de genêts et « ça fait comme des feux follets ». Avant de les emmener au cœur de la hutte.
Le « gros nounours » des flammes
« J’essaie d’apprivoiser le feu… Même si tu ne peux pas vraiment l’apprivoiser. Je fais des mouvements par rapport aux flammes. Je suis posé et je le regarde, comme si j’essayais de lui parler et que l’on essayait de se comprendre. Je ne vais pas jusqu’à dire que ça a eu une action sur le feu mais ça m’a permis d’appréhender le truc différemment. Quand je me suis mis dedans, j’ai vu qu’il pouvait se passer autre chose. »
Devenir homme de feu est venu à Benjamin après une belle rencontre avec la chamane, qui lui a demandé de participer plus activement aux huttes de sudation. « On me l’a demandé, je n’aurais jamais imaginé. Je me suis demandé au début ce que j’allais faire, je n’avais jamais fait ça. » Le musicos de 51 ans n’a commencé à être homme de feu qu’au printemps dernier. Mais il s’est senti entrer dans la posture du gardien, du passeur. « Les gens me remercient, car ils se sentent accompagnés dans leur rituel. Je suis là pour les autres, mais aussi pour moi. Je suis leur gros papa, leur gros nounours », se marre-t-il.
La tête dans les étoiles et le corps au feu, Benjamin continue de veiller aux flammes, tout seul dehors, en entendant les chants qui s’échappent de la hutte de sudation. Lorsque les participants sortent, « c’est l’impression de sortir du ventre de sa mère ou du centre de la Terre ». Ils jettent leurs bandeaux de parole, des morceaux de tissus de couleur, dans les flammes. Des regards qui parlent d’eux-mêmes s’échangent autour du feu. « Le feu a un rôle purificateur, on se débarrasse encore d’un truc. »
En astrologie, Benjamin est signe… de feu. L’élément l’a toujours happé. « De voir ces flammes, c’est d’une émotion. Quand tu joues avec l’arrivée d’air, il n’a pas la même dynamique, mime-t-il. Quand tu le prends en photo très rapidement, tu figes un moment et tu vois des trucs incroyables. Le feu c’est aussi la chaleur, ça réunit, ça crée un cercle qui donne envie de te poser, de penser un peu autrement. C’est un truc qui me procure quelque chose, c’est délire. »
Clément Villaume
1 – Style de musique rock extrême.