Des ingénieurs, architectes, artisans du bâtiment, chercheurs et militants ont publié un appel qui propose de revoir les politiques visant à réduire la consommation énergétique des bâtiments. Ils partent du constat que la politique actuelle, basée uniquement sur les performances techniques de l’habitat, n’est ni efficace, ni équitable. Ils invitent à intégrer, dans les études et les aides financières, la notion d’empreinte surfacique, c’est-à-dire le nombre de mètres carrés utilisés par personne.
Aujourd’hui, nos politiques de transition se basent sur le paradigme suivant : la demande aux industriels de développer des dispositifs plus efficaces, et celle aux citoyens d’utiliser au plus vite ces nouveaux dispositifs. On ose donc demander clairement aux individus « d’utiliser des dispositifs 50 % moins impactants », mais jamais « d’utiliser 50 % moins leurs dispositifs ». Pourtant, de ces deux demandes, la seconde serait la plus apte à mener rapidement la transition énergétique.
La première demande satisfait partiellement le besoin collectif de diminution de l’impact environnemental par l’investissement en équipement individuel. Nous constatons le peu de résultats avec nos lois du marché. Quand à la volonté d’accélération par la contrainte réglementaire, elle est freinée de toutes parts et soulève la problématique de la justice sociale. En résulte finalement des dépenses publiques (« aides ») fléchées. Cette direction « efficacité » prise par notre politique de transition, présente de nombreux désavantages, dont :
– le temps de remplacement de l’ensemble des dispositifs
– les mesures politico-financières découlent directement de la logique de l’économie libérale et dépendent du bon fonctionnement de celle-ci
– le transfert des fonds publics vers le secteur privé de manière inéquitable
– la lourdeur administrative associée aux démarches d’« aide » est un frein conséquent
– le débat public autour de la transition est déplacé vers un débat sur les « aides » : leur valeur telle année, la date à laquelle elles augmenteront ou disparaîtront, et la responsabilité de l’état plus que celui du mode de vie individuel
– la non-prise en compte de la finitude des ressources et les impacts des industries déplacées ; en poursuivant et amplifiant la pensée en « le neuf est meilleur que l’ancien » et « l’émission de CO2 lors de nos usages est la seule variable sur laquelle jouer ».
– la course insatiable à l’argent : la recherche d’aubaines instables et néfastes à l’adhésion en profondeur de changement de nos comportements.
– la société matérialiste individuelle, plus que la société conviviale soignant la nature et les maux humains.
– les incitations et contraintes sur l’individu (vignette crit’air, RE2020…) ne le rassurent pas sur l’atteinte des objectifs de la COP21 à temps, la notion de planification écologique étant absente
La deuxième demande satisfait partiellement le besoin collectif de diminution de l’impact environnemental par la remise en question des besoins au niveau individuel. Aussi naïve que la seule confiance dans les lois du marché pour propulser rapidement l’efficacité, la seule confiance dans la responsabilité individuelle dans notre problématique de transition collective ne constitue pas une politique publique. Pourtant par choix, une partie faible mais grandissante de la population fait effectivement ce chemin par elle-même. Une politique publique pourrait se concentrer sur l’éducation et la sensibilisation, mais l’urgence est déclarée et cette méthode ne suffira pas, d’autant que l’éducation n’est pas la seule force influente sur la perception des besoins.
La première demande, sans prise en compte de la deuxième engendre deux injustices.
Générationnelle : L’incertitude sur l’avenir conduit aujourd’hui à des angoisses et contestations fortes, particulièrement chez les jeunes
Sociale : L’augmentation de la consommation de dispositifs du fait de l’augmentation de son efficacité au sein d’une fraction de la société, appelée effet rebond. Et l’effet inverse d’exclusion d’une fraction de la société trop précaire pour acheter ces nouveaux dispositifs performants. Il apparaît alors injuste de considérer également les consommations d’agrément et les consommations vitales sur le plan énergétique. L’ébriété des classes sociales supérieures en devient un facteur de turbulences sociales.
Alors, de la même manière que des outils financiers sont utilisés au service de l’efficacité (crédits d’impôts, CEE, primes rénov etc.), une politique économique pourrait se développer au service de la sobriété.
Nous appelons à la réalisation d’études socio-technico-économiques afin d’ allier efficacité- sobriété, pour la justice et la paix sociale.
Ces pistes de réflexion ont pour objectif principal de faire un pas de côté, audelà des méandres de nos politiques publiques actuelles. Se permettre d’imaginer avec ambition des nouvelles politiques économiques, environnementales et sociales autour de la transition énergétique n’est pas seulement un jeu de l’esprit, mais une nécessité face aux enjeux de tous ces domaines et aux attentes des générations actuelles et futures.
Sobriété et efficacité : pour permettre des trajectoires individuelles et collectives variées 1
La sobriété ne remplace pas l’efficacité, mais la complète en apportant de la flexibilité dans les trajectoires de transition.
En partant pour chaque secteur économique concerné (principalement alimentation, transport, logement), d’une situation nationale moyenne d’empreinte par citoyen et de performance énergétique du dispositif, atteindre les objectifs d’impact peut se faire par une multitude de trajectoires.
Une politique économique équilibrée incitant à ces trajectoires sobriété- efficacité répondrait à cette double injustice générationnelle et sociale. Associée à une réglementation définissant des planchers et des plafonds d’empreinte par personne, la répartition de l’effort pourrait nous faire basculer d’une logique individualiste (limitée par la crainte que son effort personnel soit détruit par l’augmentation de l’impact du voisin) à une logique de solidarité pour un avenir commun.
La sobriété surfacique pour la transition énergétique dans le logement2
Pour le logement, secteur clé de la transition énergétique, l’efficacité correspond à diminuer la quantité de kilowattheures consommés par mètre carré, principalement à l’aide de l’isolation des parois et du rendement des systèmes de chauffage et ventilation. On raisonne par m² plutôt que par habitant, oubliant les écarts importants de surface occupée par personne. Or, en considérant des logements également chauffés et climatisés, la sobriété dans le bâtiment correspond à la diminution de la surface par personne (l’empreinte citoyenne).
Vivre dans 50 m² de classe énergie B (par exemple une consommation annuelle de 80 kWh/m².an) ou vivre dans 25 m² de classe énergie D (160 kWh/m².an) semble strictement équivalent en terme de contribution à la transition énergétique. De même que de vivre à 2 dans 50 m² de classe énergie D. Cependant, trouver un colocataire pour un T3 peut prendre moins de 1 mois, ne requiert pas d’investissement, pas d’aide, ni aucune consommation de matière première.
Aujourd’hui, rénover une ancienne ferme en une grande maison familiale de 200 m² ouvre plus de droits aux aides que de la transformer en 3 appartements fonctionnels. On voit clairement que la politique actuelle ne prend absolument pas en considération les efforts de sobriété surfacique. Actuellement, on empêche même l’accès à des logement de très petite taille en zones rurales. Les courants sobres en surfaces, ceux des habitats légers et réversibles, sont largement découragés.
Politiques tarifaires et monétaires3
Pour imaginer des politiques publiques qui prennent en compte la sobriété, il est difficile de s’affranchir de l’image de la dictature verte. Pourtant, des outils modernes et socialement acceptables sont envisageables.
Parmi eux, et en cohérence avec un apaisement des citoyens face à l’instabilité de leurs factures énergétiques, une tarification originale du prix de l’énergie de nos logements est à envisager. Plus précisément, un forfait à prix réduit voire gratuit jusqu’à une certaine quantité consommée, accompagné d’un prix au kWh supérieur au-delà, finançant ainsi le prix réduit du forfait de base et d’autres besoins pour la transition énerégtique.
Une autre mesure à évaluer serait la création d’une monnaie en équivalents kWh. Celle-ci correspondrait en montant et source aux Certificats d’Economie d’Energie et chèques énergie actuels, mais mis à disposition à l’échelle d’un territoire. Sur ce territoire, les planificateurs et citoyens détermineraient les services écologiques et sociaux requérant du travail (plantations, fabrication d’isolants biosourcés, animation éducative…), et la monnaie serait distribuée aux volontaires qui s’en chargeraient. La monnaie ainsi acquise par les citoyens serait utilisable en énergie (achat d’essence, de bois, de gaz…) ou en transports (km de bus, de covoiturage…).
Pour nous, il est important de considérer Sobriété et Efficacité ensemble et non séparément, de définir un plancher de justice sociale et un plafond de justice écologique, car les politiques de transition actuelles font l’objet de conflits sociaux (mouvement des gilets jaunes) et de conflits entre générations (grèves des Lycéens)
Nous appelons à la réalisation d’études socio-technico-économiques afin d’ allier efficacité, sobriété, justice et paix sociale.
Les documents sont téléchargeable sur www.renoveco.org/..
Premiers signataires soutenant cette interpellation auprès de professionnels, de spécialistes des sciences humaines et sociales, des sciences physiques (énergéticiens, thermiciens…) et des institutions.
1Le document A1 « Pour des trajectoires sobriété-efficacité diverses justes et pacifiques » démontre que toute consommation d’énergie pour un besoin personnel est le produit d’une empreinte et d’une performance énergétique . Il propose un carte pour concevoir et piloter la transition énergétique valable pour toute échelle de territoire ou groupes sociaux. Il explique qu’un plancher (bleu clair) et un plafond (orangé) à nos besoins est nécessaire pour la justice et la paix. Il propose de poursuivre ces travaux par une carte en 3D de la lutte contre le réchauffement climatique.
2Le document A2 « Pour des trajectoires sobriété-efficacité diverses justes et pacifiques » est destiné à des acteurs de la politique du logement .
3Le document B1 « Transition de nos logements – politique tarifaire & monnaie énergie » est un projet alternatif de politique économique avec des coûts moindre pour l’État et les propriétaires : tarification au forfait de l’énergie et monnaie énergie.
Nom prénom |
Qualité |
ANGEON Valérie |
Économiste du système agri-agro-alimentaire, directrice de recherche à l’INRAE, Elle est l’auteur de « Manger autrement » dans le cadre de la transition agro-écologique Vers un système local de production et de consommation pour sécuriser l’alimentation en Guadeloupe. |
BENEDETTI Florian |
Architecte HMONP, inscrit à l’ordre. |
BEHM Patrick |
Coordinateur « Transition énergétique citoyenne » le Labo de l’ESS, ancien président et fondateur Enercoop. |
BODIN Alice |
Ingénieure énergie environnement Cheffe d’équipe en performance énergétique du bâtiment |
CALTAGIRONE Bertrand |
Politiste Science Po Paris |
CHABALIER Lucas |
Agir pour le Climat |
CLEMENT RIVIERE Paul |
Ingénieur Thermicien Chef d’équipe en performance énergétique du bâtiment Charpentier |
du CREST Benoist |
Ingénieur socio-économiste , consultant en performance énergétique du bâtiment, éco-matériaux, précarité énergétique. |
CREBOISIER Olivier |
Professeur d’économie territoriale à l’université de neuchâtel (suisse). Son approche consiste à expliciter les formes spatiales et les temporalités implicites des théories économiques afin de comprendre le changement économique et la dynamique des territoires à toutes les échelles, du local au global. |
EPYNEAU Yaelle |
Architecte, diplômée en performance énergétique du bâtiment |
GIACHINO Lisa |
Journaliste à L’âge de faire |
HIERNAUD Sandy |
Artisane habitat Paille-Terre. Administratrice du centre de formation du Gabion |
THERET Bruno |
Économiste de la monnaie Directeur de recherche émérite au CNRS, membre du pôle «Sociologie politique de l’économie» de l’Institut de Recherches Interdisciplinaires en Sciences Sociales de l’Université Paris Dauphine |
THIRION Samuel |
Ingénieur agro-économiste (Afrique, Amérique latine, Asie, développement de la méthode LEADER en Europe et Afrique). Ex-administrateur au Conseil de l’Europe, concepteur de la démarche participative SPIRAL, SG de TOGETHER. réseau international des terriitoires de coresponsabilité, cofondateur du réseau international URGENCI (AMAP/CSA) |
VIVERET Patrick |
Philosophe, conseiller référendaire à la Cour des comptes, directeur du Centre international Pierre Mendès France, il a dirigé la mission Nouveaux facteurs de richesse, il est à l’origine de la Sol (monnaie complémentaire), cofondateur des rencontres internationales « Dialogues en humanité » |
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