Des femmes et des hommes, qui ont en commun d’entendre des voix, partagent leur vécu et leurs solutions au sein d’un réseau.
Il y a une trentaine d’années, Catherine a été internée en hôpital psychiatrique : « Je vivais la mort du Christ, les bras en croix, sur le bord de la route. » Diagnostiquée schizophrène, on lui a prescrit des neuroleptiques « à haute dose » qui, dit-elle, l’ont handicapée gravement. « Pendant cinq ans, je n’ai fait que manger et dormir. J’ai doublé de poids, je faisais 150 kg. Quand je dormais je n’avais plus de voix, mais quand je me réveillais, j’en avais énormément. Plus que sans le traitement. »
Catherine décrit des années de vie perdues et une immense solitude. « Je n’ai trouvé d’écoute auprès de personne pendant trente ans : psychiatres, amis, parents… J’étais dans un groupe religieux, tout le monde m’a pris pour une folle. Personne ne veut croire au démon. » Et puis, un jour, elle entend parler de REV France, le Réseau des entendeurs de voix. Ce sera son « déclic ». Elle décide de suivre une formation organisée par le réseau. « Enfin, une porte s’est ouverte. J’ai pu parler de mes voix. Ça m’a fait un bien fou. »
Dire « stop » à ses voix et leur désobéir
Aidée par Yann Derobert, un psychologue qui a participé à la création du réseau REV en 2011, Catherine a ensuite créé un groupe d’entendeurs de voix dans sa ville, à Strasbourg. Les réunions ont lieu deux fois pas mois. La première du mois est réservée aux entendeurs de voix, la seconde est ouverte aux médecins, infirmiers, familles, amis…
Vincent Demassier, devenu aujourd’hui président de REV France, doit lui aussi beaucoup aux entendeurs de voix de Mons-en-Barœul, près de Lille. Il n’hésite pas à dire que le groupe lui a sauvé la vie (1). Vincent entendait 15 à 20 voix différentes. Plusieurs, dont une voix de femme, très forte, l’insultaient et lui disaient : « Tu es une grosse merde. »
Encouragé par son groupe, il a commencé à dire « stop » à ses voix, qui occupaient 80 % de son temps. « Elles m’empêchaient de lire un article de presse, ou d’écouter cinq minutes de radio. » Au début, il n’avait aucun résultat. Un membre du groupe lui a conseillé de faire appel à son ressenti : « Je me suis appuyé sur la grosse boule que j’avais au ventre et là, j’ai eu un peu de silence. C’était le pied total. J’ai eu une victoire, et je me suis appuyé sur ça. Je leur donnais rendez-vous à six heures, tous les jours. Elles débitaient leurs méchancetés. »
Vincent se défendait et, soutenu par son groupe, a décidé de leur désobéir. « La voix qui me faisait le plus peur me disait de tuer mon ami. J’ai osé lui dire non. Je lui ai enlevé un pouvoir que je lui avais laissé. J’ai eu accès aux émotions que j’avais refoulées. J’ai été violé à 11 ans. » Aujourd’hui, Vincent confie qu’il n’a presque plus de voix, et a retrouvé la joie de vivre. « J’étais désespéré, je passais ma vie en psychiatrie. Je pesais 204 kg au lieu de 90. J’avais la tête de travers, un filet de bave qui coulait et des tics. »
On peut entendre des voix sans être schizophrène
La psychiatrie a cassé certaines personnes, reconnaît Renaud Evrard, psychologue clinicien. Ce spécialiste de parapsychologie scientifique (2) ajoute cependant que « les médicaments psychotropes sont une alternative à des soins qu’on ne voudrait absolument plus voir. Cela a permis à beaucoup de gens de continuer à vivre une vie, quoique diminuée ; en tout cas pas une vie enfermée dans un hôpital. »
Tout en reconnaissant l’importance du mouvement des entendeurs de voix, « qui veut donner plus de place au patient », il faut s’interroger, nuance le psychologue, sur les « success-story » qu’il met en avant et « se demander si cela rend compte du fonctionnement général. Le discours des entendeurs de voix pose des problèmes car il évoque une espèce d’idéal qui ne correspond pas toujours à la clinique. J’ai des étudiants passionnés par l’entente de voix, qui se retrouvent, en institution psy, face à de vrais patients psychotiques, pas des « mal diagnostiqués ». Ils se rendent comptent qu’ils n’arrivent pas à avancer, et ont l’impression de les renforcer dans leur délire. Il y a plusieurs types d’entendeurs de voix, dont certains qui ne peuvent pas faire sans leurs médicaments et sans une prise en charge très lourde ».
Selon des études, il y aurait quatre types de voix, et l’un d’entre eux seulement serait lié à des traumatismes vécus dans l’enfance. Ces traumatismes « peuvent organiser la personnalité d’une certaine façon de sorte qu’à l’adolescence ou à l’âge adulte, cela va se transformer en une espèce de division, de dissociation, dont les voix peuvent être une sorte de paramètre, de symptôme, précise Renaud Evrard. C’est en effet intéressant, parce que cela ouvre une autre piste de compréhension : on a des voix, mais ce n’est pas forcément une psychose ». (3) Il y aurait, selon le psychologue, un équilibre à trouver entre le discours qui était « sur-pathologisant » avant, et le discours inverse, « dont les travaux n’associent pratiquement plus psychose et voix, alors que cette association perdure ».
« Quand je parle, les voix me laissent tranquille »
Catherine, « qui était à terre avec l’envie de mourir », a repris confiance en elle.
Pourtant, les voix la font encore souffrir. « Tout continue, mais ce n’est pas grave. J’avance. Je ne vois plus mes voix de la même manière. J’ai une force intérieure, une sorte de courage que je n’avais pas avant. » Quand elle parle de ses voix, Catherine dit qu’elle ne sont pas « psychiatriques ». Ce sont des « perceptions » d’un monde invisible. Pour s’en débarrasser, elle s’est mise au dessin, à la musique, à l’écriture… Elle est devenue coprésidente du groupe REV, ce qui l’amène à beaucoup communiquer. « Quand je parle, les voix me laissent tranquille. »
Nicole Gellot
1 – Son témoignage est disponible dans l’émission de France Culture, Les pieds sur terre, du 26/12/ 2019.
2 – Dans Nexus, n° 111, juillet-août 2017. Attention à l’idéal porté par les entendeurs de voix.
3 – Les psychoses sont la schizophrénie, les psychoses maniaco-dépressives, les troubles bipolaires, la paranoïa.