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L’association HumaPsy dénonce le déclin de la psychiatrie humaniste au profit d’une psychiatrie organiciste, qui nie la singularité de la personne.
Quand vous avez affaire à un psychiatre qui vous voit comme un cerveau détraqué et pas comme une personne, c’est très violent. On sent que sa souffrance est méprisée. » Olivia, hospitalisée suite à une bouffée délirante, ne s’est vu proposer ensuite qu’un traitement à vie, alors qu’elle avait aussi besoin « de parler à quelqu’un, d’être soutenue, entendue et d’interroger ce qui [lui] était arrivé ».
Olivia, Mathieu, Fred, Sébastien et d’autres, engagés au sein de l’association HumaPsy, dénoncent l’emprise des neurosciences sur la psychiatrie au détriment du soin relationnel, et s’alarment du projet gouvernemental de transformer la prise en charge des malades, « à marche forcée ». La nomination de Frank Bellivier comme délégué interministériel à la psychiatrie, en avril 2019, par Agnès Buzyn, est à leurs yeux un très mauvais signal, qui ancre le virage de la psychiatrie dans une approche neurobiologique décomplexée. Chef du service de psychiatrie des hôpitaux universitaires Saint-Louis – Lariboisière – Fernand Widal, Frank Bellivier est membre de Fondamental, une fondation de recherche psychiatrique, centrée sur les causes organiques de la maladie mentale. Présidée par le banquier David de Rothschild, elle est financée essentiellement par des partenaires privés parmi lesquels on trouve une dizaine de laboratoires (Servier, Sanofi…), des entreprises (Bouygues, Dassault, Artemis – holding de la famille Pinault), la fondation Bettancourt, et l’institut Montaigne (un think tank néolibéral créé par Claude Bébéar, fondateur d’Axa).
Des malades abandonnés
« Il n’y a plus du tout de pensée du soin au long cours », déplore Olivia, car les systèmes actuels abandonnent les gens qui ont besoin d’un temps long pour aller mieux. La jeune génération de psychiatres est formée à faire des diagnostics, à prescrire des traitements et à renvoyer les patients, pour qui cela ne suffit pas à se rétablir, vers le médico-social, le social, ou l’associatif. « Au fond, en dehors des médocs, le soin psychique ne relève plus de leur métier. La grande tendance, c’est de vous apprendre des exercices que vous allez faire tout seul, comme la méditation en pleine conscience. La psychothérapie disparaît, au profit de séances de remédiation cognitive (1) et de psycho-éducation (2), des interventions comme par hasard très ponctuelles, proposées en présence ou grâce à des applications pour smartphone (3). Et après… vous vous démerdez. »
Les membres d’HumaPsy partagent bien d’autres craintes.
« En ce moment, les très nombreux critères de diagnostic issus du manuel DSM (4) peuvent faire basculer quelqu’un très rapidement vers une psychiatrisation », explique Mathieu, président de l’association. Le phénomène est arrivé par le concept de « santé mentale » et la définition de l’Organisation mondiale de la santé, qui l’a décrite non pas comme une absence de troubles psychiques, mais comme « un état de bien-être dans lequel une personne peut se réaliser, surmonter les tensions normales de la vie, accomplir un travail productif et fructueux et contribuer à la vie de sa communauté ».
« Ça veut dire, commente Mathieu, que si vous avez une souffrance quelconque qu’on pourrait imputer à la société, il ne faut pas l’imputer à la société, car la bonne santé mentale, c’est de s’adapter à un monde auquel on ne peut rien changer. Donc, ça vient mettre du côté de la maladie tout un tas de choses qui sont de l’ordre de l’épuisement professionnel, de la souffrance au travail, la souffrance du management, de l’état sécuritaire, de la souffrance de la discrimination… Des choses qui relèvent de la société, et qui vont être mises du côté du pathologique. Ainsi, l’objectif de la bonne santé mentale, c’est être au travail. » Selon Mathieu, les conséquences de cette approche sont redoutables : on va trouver d’un côté les bons malades, réadaptables par la médication et qu’on renvoie au travail, et de l’autre, ceux qui ne peuvent pas retourner au travail, et qu’on abandonne.
« Notre seul espoir est de faire de la formation »
HumaPsy a été créée par un groupe de patients du centre de jour Antonin Artaud, en réaction à la loi du 5 juillet 2011, qui a instauré la possibilité de soins sans consentement, en ambulatoire, après l’hôpital.
Depuis sa création, l’association s’engage essentiellement sur son blog pour défendre les droits des patients et promouvoir la psychothérapie institutionnelle. « L’idée, quand on a fondé HumaPsy, c’était d’avoir une parole politique. Ça nous a fait du bien de nous dire qu’on pouvait s’exprimer librement dans l’espace public et nous permettre d’être critique. » HumaPsy est souvent invitée, son discours intéresse les facultés de psychologie, les travailleurs sociaux, les écoles d’infirmier·ères, les lieux militants comme Les désaxé·es (café littéraire de Montreuil)…
« Notre seul espoir, c’est de faire de la formation car il n’y a plus de personnel formé en psychiatrie. La formation d’infirmier en psychiatrie s’est arrêtée en 1992. Il n’y a plus d’internat pour les psychiatres. » Faire raisonner cette parole politique est d’autant plus précieux que la lutte sur le terrain est compliquée. Olivia ressent une vraie difficulté à faire comprendre aux gens, aux journalistes, pourquoi une loi est mauvaise ou pourquoi le virage pris par la psychiatrie est catastrophique, car « ils n’ont pas de représentation du soin psychique ». Dans le milieu psy, « on n’a pas beaucoup de poids, car on a d’un côté des gens qui défendent une psychiatrie qui vise la normalité pour le patient, et de l’autre, des gens qui veulent échapper à la psy, et disent “plus jamais ça”, et je peux les comprendre. Nous, on n’a pas la haine de toute la psychiatrie parce qu’on a vu qu’un soin humain en psychiatrie est possible ».
Nicole Gellot
1 – La remédiation cognitive vise à récupérer de la mémoire, de l’attention et de la concentration par la pratique d’exercices.
2 – Quelques séances de psycho-éducation sont proposées, souvent par groupes de personnes ayant le même diagnostic, dans le but « d’accepter sa maladie » et d’obtenir une meilleure observance du traitement.
3 – Le passeport BP de la fondation Fondamental est une application pour patients bipolaires. Il est porté par la start up Sêmeia, qui propose un suivi des patients grâce à l’intelligence artificielle.
4 – Le DSM est un manuel, publié par l’Association américaine de psychiatrie, qui décrit et classifie les troubles mentaux. Ses détracteurs dénoncent sa dangerosité, estimant qu’il fabrique des pathologies sans base scientifique et pousse à la consommation de psychotropes.