Dans le 11e arrondissement parisien, se niche depuis 20 ans la librairie Quilombo, anarchiste, antifasciste, technocritique, et ayant développé un environnement du livre farouchement indépendant. Tout pour nous plaire…
On entre rarement chez Quilombo par hasard. « On n’est clairement pas dans une rue très passante », observe Jacques Baujard, unique salarié de la librairie. Si ce lieu pas comme les autres a pu célébrer en novembre sa vingtième année d’existence, c’est donc que les client·es font tout spécialement le déplacement jusqu’au 23 de la rue Voltaire, dans le 11e arrondissement (métro « rue des Boulets »), pour fouiller dans sa collection de bouquins.
Au menu : science fiction, romans et, surtout, une mine d’essais. « On couple une tradition anarchiste libertaire avec la critique de la société industrielle. On essaye d’avoir ces deux axes en tête et de maintenir cette ligne qu’on pourrait qualifier d’anarcho-technocritique. »
À l’origine, trois militants du Scalp (section carrément anti-Le Pen) souhaitaient proposer une librairie axée sur la critique sociale, en mettant en avant des éditeurs indépendants. Ils trouvent un lieu qui ressemble à tout sauf à une librairie. « À la base, c’était plutôt une boutique-librairie, avec des livres mais aussi des objets (tee-shirts, badges, stickers…) d’associations et de collectifs militants, pour financer leurs luttes. C’était plutôt un local, sans peinture, avec un pauvre néon pour tout éclairage », se souvient Jacques.
Le terme de « quilombo » désigne « des territoires créés par des esclaves fuyant les plantations côtières du Brésil », dans la forêt amazonienne, au XVIIe siècle. « Espace de résistance dans l’hostilité de la mégapole capitaliste, telle se voulait la librairie Quilombo à ses débuts, à la manière de ses ancêtres de la jungle brésilienne, explique Jacques Baujard. (…) Si les dangers sont d’une autre nature, et que nos conditions de vie sont mille fois plus confortables que celles des habitants des Quilombos, nous essayons de perpétuer leur esprit de résistance. Notre forêt vierge est Paris, et le colonialisme y est numérique, industriel, libéral, bref capitaliste. »
« ENTRAIDE ET MUNICIPALISME LIBERTAIRE »
Petit à petit, les excédents de trésorerie sont investis pour faire des meubles, mettre l’électricité aux normes… « La dernière amélioration qu’on a faite, c’était il y a un an et demi : on a mis des roulettes sous les gros blocs de livres pour pouvoir les déplacer plus facilement. Enfin ! » Mais la situation de Quilombo reste « ultraprécaire ». Elle tourne grâce au travail de six bénévoles, Jacques étant l’unique salarié, à mi-temps. C’est donc avant tout grâce à l’huile de coude extraite d’une poignée d’humains engagés que la chose perdure, et qu’un environnement farouchement indépendant s’est créé.
Quilombo est en effet étroitement liée à deux maisons d’édition : L’Échappée et Nada. « À notre échelle, on a essayé d’appliquer les thèses de Pierre Kropotkine et de Murray Bookchin : l’entraide et le municipalisme libertaire. Dans un même lieu, on réunit les trois assos, qui se renforcent les unes les autres. Quilombo met leurs livres en avant, Nada et L’Échappée stockent une partie de leurs bouquins dans notre cave. Cédric (Biagini, Ndlr) est l’un des fondateurs de Quilombo et directeur éditorial de L’Échappée, il est aussi graphiste. Les livres de Nada qu’on vend à Quilombo vont leur permettre de faire travailler Cédric sur des couvertures et des maquettes. Les livres qu’on vend de L’Échappée vont leur permettre de me payer un mi-temps... » Nada a aussi monté Hobo Diffusion, un diffuseur qui « promeut l’édition indépendante, engagée, libertaire, contre-culturelle », et dont le catalogue est mis en bonne place sur les étagères de Quilombo. Tremble, Vincent Bolloré !
En attendant, allez donc pousser la porte de cette géniale librairie, parce qu’elle n’a pas tout à fait le même compte en banque que le patron d’extrême droite d’Éditis…
Nicolas Bérard
Dessin : Red!, pour L’âge de faire. DR