La Petite République de Saillans raconte les découvertes et tâtonnements de ces élu·es qui ont choisi, pour le meilleur et pour le pire, de partager le pouvoir avec les habitant·es. Un précieux retour d’expérience.
Maud Dugrand a grandi à Saillans, en Drôme. Revenue s’installer dans une commune proche, cette ancienne journaliste de L’Humanité a suivi de près l’élection, aux municipales de 2014, d’une liste pas comme les autres, qui avait décidé de placer les habitant·es au cœur des décisions politiques. Tout au long de la mandature, elle a échangé avec des élu·es et des habitant·es sur les réussites et les échecs de ce fonctionnement communal expérimental. Son livre, La Petite République de Saillans, dresse un portrait nuancé de l’aventure.
Sans jamais prétendre être un modèle, l’expérience de Saillans a été étudiée sous toutes ses coutures en tant que village précurseur. Son existence a, en effet, contribué à provoquer un déclic : pour les élections municipales à venir ce mois-ci, l’association Action commune a répertorié près de 250 listes participatives – sans compter toutes celles qui ne se sont pas inscrites sur la cartographie. Si certaines parviennent à être élues, le retour d’expérience du village drômois pourra se révéler précieux.
En matière de participation des habitant·es, la révision du Plan local d’urbanisme (PLU) est l’une des réalisations les plus abouties de l’équipe municipale… et l’une des plus douloureuses. Groupes d’étude, ateliers de promenade, travail sur des cartes géantes ou en 3D, réunions publiques, questionnaire individuel, ateliers de vidéo avec des jeunes… En deux ans, 434 personnes différentes, dans ce village de 1 300 habitant·es, ont participé au moins une fois au processus. Ce travail a permis de définir les objectifs de la révision : favoriser les solidarités locales, la proximité, la convivialité ; préserver et mettre en valeur le cadre de vie ainsi que le paysage et le patrimoine de la commune ; améliorer les déplacements et le stationnement ; inscrire la commune dans la transition énergétique.
Le PLU « ne convient à personne »
En parallèle, douze habitant·es tiré·es au sort ont travaillé avec quatre élu·es. Au rythme de deux réunions par mois, ce comité de pilotage s’est formé, a réfléchi ensemble, et a décidé du contenu du nouveau PLU. « Au sein du groupe, élus, habitants, chacun a la même place, le même temps de parole et bénéficie de la même écoute », a raconté Élise à Maud Dugrand. Cette habitante tirée au sort a eu l’impression de redécouvrir son village, de comprendre de nouveaux enjeux : « Une expérience vertigineuse car très exigeante. » Cependant, « nous avons manqué de temps pour aller au fond des débats entre nous, pour monter en compétence. Il m’a semblé difficile parfois de prendre des décisions éclairées ».
Sabine Girard, l’élue qui s’est énormément investie dans la révision du PLU, reconnaît que le nouveau texte « ne convient à personne » : pas de position politique forte, pas de prise en compte suffisante des enjeux de transition écologique – même si certains le trouvent au contraire trop militant et écolo. « Mais ce qui est intéressant, c’est que tout le monde a pu renforcer son argumentaire et élever le niveau du débat en vivant les divisions au sein des élus et des habitants » (1), souligne-t-elle.
« Il faut une formation intellectuelle pour entrer dans le cadre »
Ces divisions ont été révélées lors d’un conflit autour de l’habitat démontable. Fin 2018, la municipalité inaugure par ce thème « une série de cafés d’urbanisme autour de sujets inscrits dans le PLU », écrit Maud Dugrand.
Et là, surprise, une centaine de personnes se pressent au débat. La plupart, très remontées, soupçonnent la mairie de défendre ces nouveaux modes d’habitat.
Au bout du compte, le groupe de pilotage du PLU a voté l’interdiction officielle de l’habitat démontable sur la commune. « Je ne suis pas arrivée à l’écrire. Une collègue l’a fait à ma place. J’étais vraiment en conflit entre mes valeurs et ce qui a été décidé par le vote », raconte Sabine Girard.
Michel Gautheron, membre du conseil municipal, est un agent de la DDE à la retraite, passionné de marche et de chasse. Son « univers » n’est pas le même que celui de Sabine Girard, chercheuse et écologiste, et d’autres élu·es « néo-ruraux ». Maud Dugrand décrit la « position délicate » de Michel Gautheron : « être à l’écoute de la population réfractaire à ce nouveau mode de gouvernance dont beaucoup sont des gens avec qui il a grandi, et assumer d’agir au sein d’une équipe dans laquelle il se positionne souvent dans l’opposition ».
Ces différences, reflet de celles qui traversent le village, ne sont pas sans conséquence sur la participation politique. Car si le travail par petits groupes, cadré par des règles issues de la communication non violente, permet à de nombreuses personnes de s’exprimer et de prendre confiance en elles, il est nécessaire pour l’intégrer de savoir formuler ses idées en contrôlant ses émotions – une compétence inégalement répartie en fonction des milieux sociaux.
Il faut écouter ceux qui prennent la parole en hurlant car après ils ne hurlent plus et un vrai débat peut commencer, plaide Greg, un habitant. La méthode laisse du monde sur le côté, car il faut une formation intellectuelle pour entrer dans le cadre.
Pour ces municipales, une liste d’opposition s’est constituée dans la foulée du conflit autour du PLU. Elle épingle l’équipe actuelle sur ses erreurs, ses méthodes et ses choix politiques, mais ne remet pas en question la participation des habitant·es. Au sein de la majorité du conseil municipal, seuls quatre élu·es ont décidé de se représenter, aux côtés de nouveaux qui ont bien voulu se lancer dans l’aventure. Vincent Beillard, le maire actuel, ne sera pas tête de liste. Si elle est réélue, la liste annonce qu’elle testera d’autres formes de participation comme des assemblées de village, avec débats et votations.
Lisa Giachino
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1 – La Petite République de Saillans, Maud Dugrand, éd. du Rouergue, 2020. Toutes les citations de cet article sont tirées du livre.
Au sommaire du numéro 150
- Édito : Le débat tronqué sur la police municipale / Saillans, ou la démocratie expérimentale
- Bière + pain : la brewlangerie !
- Femmes en lutte une création collective contre les meurtres d’amérindiennes / Entretien enseignement : « La profession n’a jamais été aussi énervée ! »
- Projet Iter / Lessive à la cendre
- Reportage / la nouvelle vague des magasins participatifs / Carte
- Carte de la presse pas pareille
- Actu / Assange / Huile de palme, le gouvernement plie face à Total
- Économistes atterrés : Réforme des retraites : quand la technocratie prend la main
- Lorgnette Zehra Doğan : l’art et la liberté plus forts que toutes les chaînes /
- 5G mon amour, (lire un extrait ici)
- L’atelier Opération zéro déchet ! / au jardin / Couture & Compagnie / Le coin naturopathie
- Fiche pratique La tour à patates
- Diffusez L’âge de faire dans les campings
Jeunes des années 2020
Muriel est partie avec trois sous en poche en Palestine pour y rencontrer des paysans, Billel fait des maraudes pour porter des repas aux sans-abri, Noémie organise des ateliers autour de la décolonisation avec des adolescents, Geronimo documente la lutte des Gilets jaunes, Tristan part à la recherche de géants… Ils n’ont pas 25 ans mais construisent déjà un monde plus juste et joyeux. Rencontres.