Sept cent soixante-trois paires de dessus de mocassins, brodés à la main de perles qui dessinent des fleurs, des oiseaux, des visages, des nourrissons, des fruits… Créés par environ 1 300 artistes autochtones du Canada, ces ornements ne seront jamais cousus sur des mocassins. Ils resteront tels quels, symboles des vies inachevées des femmes amérindiennes disparues et assassinées auxquelles ils rendent hommage.
Intitulée Walking with our sisters (en marchant avec nos sœurs), cette œuvre collective a achevé son périple l’année dernière après avoir circulé pendant sept ans à travers le Canada et les États-Unis.
En 2014, alors que des ONG tiraient la sonnette d’alarme et publiaient des rapports depuis de longues années, la Gendarmerie royale du Canada a diffusé ses chiffres sur les femmes autochtones disparues ou assassinées. Selon son rapport, 1 181 femmes autochtones ont disparu ou ont été assassinées entre 1980 et 2012. En 2012, ces crimes correspondaient à près d’un quart des homicides de femmes, alors que les autochtones ne représentaient que 4,9 % des femmes vivant au Canada. La Gendarmerie a également noté que les féminicides diminuent… sauf ceux dont les Amérindiennes sont victimes.
Beaucoup de ces meurtres et de ces disparitions restent non élucidés, et peu médiatisés. Lorsque l’agresseur est identifié, il peut venir de la communauté de la victime, comme de l’extérieur. Car les femmes autochtones sont prises entre le marteau et l’enclume.
D’un côté, une société occidentale canadienne qui a hérité de la période coloniale une vision raciste des autochtones. Les autorités ont imposé leur organisation patriarcale, rendant les Amérindiennes invisibles et privées des pouvoirs qui étaient les leurs. Pendant un siècle et jusque dans les années 1990, l’administration a enlevé aux familles leurs enfants pour les placer en internat, déstructurant durablement les communautés.
De l’autre côté, des hommes autochtones qui, dans leurs instances politiques, défendent avant tout l’autonomie collective des peuples amérindiens et se méfient des revendications sur les libertés individuelles, notamment féministes.
Dans l’œuvre commémorative qu’elle a initiée, l’artiste et activiste Christi Belcourt a voulu à la fois rendre visibles les victimes, accompagner l’hommage des familles, et faire reconnaître les savoir-faire des femmes autochtones. Dans chaque nouveau lieu, l’exposition s’est tenue dans un cadre rituel élaboré par un groupe de femmes bénévoles, avec la participation des communautés locales. Les comités d’organisation étaient ouverts aux hommes comme aux femmes, autochtones ou non, ce qui a permis une grande diversité chez les 6 000 personnes qui ont visité l’installation, de nombreux témoignages, prises de paroles et échanges. LG
> Walking with our sisters : une commémoration artistique pour le féminicide autochtone, en marche vers la décolonisation, Julie Bruneau, dans la revue canadienne Recherches féministes, vol. 30, n°1, 2017