Rodolphe Saadé a assurément été la star de toutes les rubriques « médias» du mois de mars. Coup sur coup, le milliardaire a annoncé qu’il rachetait BFM-TV, puis mis à pied le directeur de la rédaction du quotidien La Provence, qu’il possède depuis 2022. Deux épisodes symptomatiques d’un paysage médiatique français malade à en crever. Mais n’abusons pas des cris d’orfraie : quoiqu’elle se dégrade d’année en année, la situation n’est pas nouvelle. Preuve en est, c’est au milliardaire Drahi que le milliardaire Saadé a racheté BFM (ainsi que les stations du groupe RMC), et aux héritiers de Bernard Tapie qu’il a racheté La Provence. Inutile de vous refaire le topo du problème de la concentration des médias entre les mains de quelques très très riches personnages, autrement dit entre les mains des puissances de l’argent (1).
Poursuivons… Une semaine après s’être emparé de BFM, Saadé sanctionnait le directeur de rédaction de La Provence pour un titre de une, pourtant vraiment pas méchant (2), qui n’a pas plu aux macronistes. Or, celui qui est avant tout patron de l’entreprise de fret maritime CMA-CGM est également un soutien déclaré d’Emmanuel Macron. Suite à une courageuse grève des journalistes de La Provence, le mis à pied a été réintégré. Mais les messages de Saadé sont passés. Aux ambitieux qui convoiteraient le poste de directeur de la rédaction : il faut savoir servir mes intérêts et donc, en l’occurrence, caresser le président des riches dans le sens du poil. Aux responsables politiques : appliquez une politique qui me convient et je mettrai mes médias à votre service.
Une fois que les bonnes personnes sont aux bons postes et que tout le monde est prévenu, les patrons peuvent se targuer de « ne jamais intervenir dans le fonctionnement » de leurs médias. Ils n’ont tout simplement plus besoin de le faire. Si à chaque rachat de média, on assiste à peu près aux mêmes crises liées à des mises au placard et des nominations, ce n’est pas pour le plaisir de se faire de la mauvaise publicité. Une fois que la poussière retombe, les esprits se calment, les souvenirs s’effacent, et les mêmes questions ressurgissent au rachat suivant…
À L’âge de faire, notre fonctionnement totalement horizontal empêche ce genre de manipulation. Pas de patron ni de hiérarchie chez nous, et encore moins de gugusse aux poches pleines pour mettre la pression sur nos scribouillard·es ! Avouons que dans tout ça, il y a quand même un truc qui nous fait envie dans le fonctionnement des « grands » médias, c’est l’oseille de leurs patrons. Pas leurs patrons, hein, juste leur oseille. Le problème, c’est justement que l’un ne va pas sans l’autre. Et ça, c’est non. Jamais. Plutôt crever. N’insiste pas Rodolphe, puisqu’on te dit que tu n’as pas ta place ici ! Et ce n’est pas à bientôt 20 ans (3) qu’on changera d’avis. Après avoir dit ça, on se retrouve souvent à devoir compter nos sous, et ça nous fout quand même un peu la rage : imaginez qu’avec le 1,55 milliard d’euros dépensé par Saadé pour racheter BFM, il y a pile poil de quoi abonner 1 million de personnes à L’âge de faire pendant 50 ans ! On n’en demande pas tant, mais on a quand même besoin de pognon… Alors soyez, collectivement, notre Rodolphe Saadé à nous : lancez une grande OPA sur la Scop L’âge de faire ! Pour réussir cette opération, il faut que vous parveniez à nous faire franchir la barre des 9 999 abonnements individuels. Si vous réussissez cet exploit, vous serez tous et toutes à la tête d’un journal indépendant et en bonne santé !
Nicolas Bérard
1- Nous en avons longuement parlé dans notre précédent numéro.
2- Suite à la visite de Macron à Marseille pour une opération anti-drogue, le quotidien a publié la photo de deux jeunes assis sur un banc de la cité La Castellane, avec cette citation en guise de titre : “Il est parti et nous, on est toujours là…”. On fait difficilement plus inoffensif.
3- L’âge de faire n° 1 est sorti en octobre 2005.







