Deux chansons à l’affiche ce mois-ci, la première menant à la seconde. Saluez riches heureux met à l’honneur les ouvriers qui remplissent les poches des patrons, à la sueur de leur front. « Saluez, riches heureux, / Ces pauvres en haillons / Saluez, ce sont eux / Qui gagnent vos millions. » Un refrain qui aurait été chanté pour la première fois dans les années 1910, par les mégissiers (travailleurs du cuir) grévistes de Graulhet, dans le Tarn.
Des mégissiers aux sardinières
Il a été rendu célèbre une petite quinzaine d’années plus tard par d’autres grévistes qui ont marqué l’histoire des luttes sociales : les Penn Sardin. Ce surnom donné aux habitants de Douarnenez et
par extension, à la coiffe des femmes – « penn sardin » signifie tête de sardine en breton –, parle aujourd’hui surtout des sardinières, qui travaillaient jusqu’à 72 heures par semaine dans des conditions misérables, à frire et à mettre des sardines en boîte. Sous la demande « Pemp real a vo » (« cinq réaux ce sera »), pour revaloriser leur salaire horaire, les travailleuses se mirent en grève en novembre 1924. Elles furent rapidement soutenues par les marins, puis les ouvriers et le maire communiste qui fut blessé pour cela – avec quatre autres hommes – d’une balle dans la gorge lors d’une fusillade dans un café.
Hop-là, taisez-vous !
La mobilisation fit grand bruit, politiquement et en chansons. Au milieu des soutiens et soupes populaires, elle fut jalonnée de prières et de chants parfois grivois (les « vilaines chansons » qui faisaient rire), au milieu desquels Saluez riches heureux fut « le refrain interdit ». « On n’avait pas le droit de chanter ça dans les usines. Hop-la, taisez-vous ! », raconte une ancienne ouvrière*. Certaines auraient même été licenciées pour l’avoir entonné.
Respect et meilleur salaire
Après plus de quarante jours de grève, les Penn Sardin obtiennent cependant gain de cause. Cinq jours après la fusillade, leur salaire horaire passe de 80 centimes (16 sous) à 1 franc – et 1,50 pour les hommes. Quatre-vingts ans après, en 2005, sur une musique de Jean-Pierre Dovilliers, Claude Michel, autrice-interprète-compositrice concarnoise, écrit des paroles avec des élèves de première et terminale, pour relater cette lutte. Elle utilise le mode des « chansons à répondre », et peut même se danser en fest noz – sur un andro, dirais-je. Et c’est aujourd’hui cette chanson, qui est reprise dans les chorales militantes. Les couplets sont chantés une fois, puis repris en chœur, tandis que le refrain évolue au fil des paroles et de l’histoire de ces femmes en lutte.
Lucie Aubin
* Citation à écouter dans la chronique d’Aliette de Laleu sur France musique, contenant plusieurs archives.
Quelle version écouter ?
Sur l’internet mondial, les interprétations sont légion !
On vous invite à écouter celle qui se trouve à la fin du podcast de France Culture, dédié à cette grève. Deux épisodes, dont le premier se termine par une version chorale de la chanson des Penn Sardin, à environ 26 minutes. Mais en écoutant l’ensemble, vous en apprendrez bien plus.
Les paroles :
Saluez riches heureux
De bon matin au lever de l’aurore
Voyez passer ces pauvres ouvriers
La face blême et fatigués encore
Où s’en vont-ils? Ils vont à l’atelier…
Petits et grands, les garçons et les filles
Malgré le vent et la neige et le froid
Jusqu’aux vieillards et mères de famille
Pour le travail ils ont quitté leur toit.
Refrain :
Saluez riches heureux ces pauvres en haillons
Saluez ce sont eux qui gagnent vos millions.
Tous les jours, ouvriers et ouvrières
Sont-ils certains de revenir le soir
Car il n’est pas de jour ni même d’heure
Que l’on en voit victime du devoir
Car le travail est un champ de bataille
Où l’ouvrier est toujours le vaincu
Qu’il soit blessé, qu’importe qu’il s’en aille
A l’hôpital parce qu’il n’a pas d’écus.
Que faut-il aux ouvriers qui travaillent
Etre payé au prix fort de leur sueur
Vivre un peu mieux que coucher sur la paille
En récompense après un dur labeur,
Avoir du pain au repas sur la table
Pouvoir donner ce qu’il faut aux enfants
A leur repas un peu de confortable
Afin qu’ils puissent travailler plus longtemps.
Refrain
Combien sont-ils d’ouvriers, d’ouvrières
Blessés soudain par un terrible engin
Que reste t-il pour eux c’est la misère,
En récompense d’aller tendre la main.
Et sans pitié laissant mourir ces braves
Après avoir rempli leur coffre d’or
Les travailleurs ne sont que des esclaves
Pour le courroux des maîtres du trésor.
La chanson des Penn Sardin
Il fait encore nuit, elles sortent et frissonnent, / Le bruit de leurs pas dans la rue résonne. (x2)
Écoutez l’ bruit d’ leurs sabots / Voilà les ouvrières d’usine,
Écoutez l’ bruit d’ leurs sabots / Voilà qu’arrivent les Penn Sardin.
À dix ou douze ans, sont encore gamines / Mais déjà pourtant elles entrent à l’usine. (x2)
Écoutez l’ bruit d’ leurs sabots / Voilà les ouvrières d’usine,
Écoutez l’ bruit d’ leurs sabots / Voilà qu’arrivent les Penn Sardin.
Du matin au soir nettoient les sardines / Et puis les font frire dans de grandes bassines (x2)
Écoutez l’ bruit d’ leurs sabots / Voilà les ouvrières d’usine,
Écoutez l’ bruit d’ leurs sabots / Voilà qu’arrivent les Penn Sardin.
Tant qu’y a du poisson, il faut bien s’y faire / Il faut travailler, il n’y a pas d’horaires. (x2)
Écoutez l’ bruit d’ leurs sabots / Voilà les ouvrières d’usine,
Écoutez l’ bruit d’ leurs sabots / Voilà qu’arrivent les Penn Sardin.
À bout de fatigue, pour n’pas s’endormir / Elles chantent en chœur, il faut bien tenir. (x2)
Écoutez l’ bruit d’ leurs sabots / Voilà les ouvrières d’usine,
Écoutez l’ bruit d’ leurs sabots / Voilà qu’arrivent les Penn Sardin.
Malgré leur travail, n’ont guère de salaire / Et bien trop souvent vivent dans la misère. (x2)
Écoutez l’ bruit d’ leurs sabots / Voilà les ouvrières d’usine,
Écoutez l’ bruit d’ leurs sabots / Voilà qu’arrivent les Penn Sardin.
Un jour toutes ensemble ces femmes se lèvent / À plusieurs milliers se mettent en grève. (x2)
Ecoutez claquer leurs sabots / Écoutez gronder leur colère,
Ecoutez claquer leurs sabots / C’est la grève des sardinières.
Après six semaines toutes les sardinières / Ont gagné respect et meilleur salaire. (x2)
Ecoutez claquer leurs sabots / Écoutez gronder leur colère,
Ecoutez claquer leurs sabots / C’est la grève des sardinières.
Dans la ville rouge, on est solidaire / Et de leur victoire les femmes sont fières. /(x2)
Ecoutez claquer leurs sabots / Écoutez gronder leur colère,
Ecoutez claquer leurs sabots / C’est la grève des sardinières.
À Douarnenez et depuis ce temps / Rien ne sera plus jamais comme avant.
Ecoutez l’ bruit d’ leurs sabots / Ç’en est fini de leur colère,
Ecoutez l’ bruit d’ leurs sabots / C’est la victoire des sardinières.
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