Marché de producteurs, espace de travail, bureaux, brasserie, animations, logement temporaire… En Creuse, la Renouée, maison achetée et rénovée par un collectif d’habitants, est tout cela à la fois. De la cave au grenier, c’est un lieu ouvert pour mieux se retrouver.
Ecouter cet article, lu par B. Huet :
Sur la D8, j’accélère pour ne pas arriver en retard. Enfin accélérer est un grand mot, la nuit est tombée et le brouillard s’épaissit sur cette petite route de la Creuse. La vitesse n’est pas une option. Plus loin, à Gentioux-Pigerolles, les fenêtres éclairées d’une maison m’apparaissent comme un refuge dans ce bout du monde. C’est la fin du marché d’hiver à la Renouée. Lieu de ravitaillement pour de nombreux habitants, ce marché fait aussi partie des temps forts de la vie locale : « Il permet de se dépanner dans une région où sinon il faudrait aller loin », explique une habitante, venue avec sa fille de 9 ans qui profite de l’espace « club des enfants » pour lire pendant que les adultes « se retrouvent ». « Ici, les portes sont toujours ouvertes. » Les habitants vont et viennent dans les différents espaces de la maison, qui accueille de la cave au grenier : une brasserie associative autogérée, un marché de producteurs et une épicerie en bio/local, une salle de jeu et une cuisine collective. Les étages abritent un logement-passerelle (logement temporaire pour répondre au mal-logement de la région), une salle de travail partagée et des bureaux professionnels privés : cabinet de naturopathe, agence de tourisme ou encore cartographes
De l’épicerie vers l’action sociale
On vient à la Renouée pour s’approvisionner, chercher une connexion internet, un espace de réunion, une cuisine pour partager un repas, ou simplement échanger autour d’un verre. Dès ses débuts, en 2014, l’objectif était de « redynamiser le bourg ». Rémy, ancien administrateur, se souvient : « À l’époque, les marchés d’été venaient d’être relancés. La mairie avait mis à disposition un local, mais situé près de la route, il était dangereux pour les enfants », et le projet échoue. En parallèle, le dernier commerce alimentaire de Gentioux fait faillite. Avec l’aide de la coopérative d’habitat l’Arban*, les habitants vont acheter une maison du centre bourg et la réhabiliter. Le besoin d’un service alimentaire était central dans la démarche. Le marché et l’épicerie vont même inspirer le nom de l’association en charge du lieu : la Bascule – en référence à la balance qui pesait les bêtes vivantes lors des foires. Mais avec ce rachat, le projet intègre une autre dimension, sociale cette fois. Ainsi, la Renouée tire son nom de la renouée bistorte, plante locale, mais aussi de l’idée de renouer avec les habitants, de recréer des liens dans un territoire où les gens sont éloignés géographiquement.
« Plus d’associations que d’habitants »
Le plateau de Millevaches fait partie des zones les moins peuplées de France : 18 habitants au km2. Mais, un village – ou plutôt un secteur – résiste encore et toujours : celui de Faux-Gentioux-Royère. Ici, « on trouve plus d’associations que d’habitants ». Cadet Roussel, Constance social club, l’Atelier… Les associations poussent comme des champignons, à tel point qu’un Pôle d’animation de la vie locale (PAVL) a été créé pour organiser des événements en commun et « faire en sorte que les dates ne se fassent pas concurrence ». Mais d’où vient cette singularité ? « Un territoire militant, héritage du maquis avec le résistant Georges Guingouin, un accès au foncier ou encore le côté sauvage de la région, spécule Cadine, salariée de la Bascule. Chacun a sa théorie. » Dès le départ, la volonté de créer un projet autonome, qui ne dépend pas du bon vouloir de la mairie, était là. Principalement financée par une collecte de dons de plus de 100 000 euros et par la Caf, la Renouée a été conçue pour fonctionner « presque uniquement avec ses activités ». Dix ans plus tard, elle compte pas moins de 400 adhérents, 60 bénévoles et deux salariés.
Sortir du clivage entre « néos » et « gens d’ici »
Le lieu est devenu un emblème de la dynamique collective de la région. Cadine, coordinatrice de l’espace de vie sociale, est chargée d’élargir le type de publics : « Le projet a été créé par des néoruraux, des gens qui sont arrivés il y a 10-20 ans, qui ont donné au lieu une connotation alternative, ce qui a pu cristalliser le fait que certaines personnes ne viennent pas. » Un clivage entre les modes de vie que la mairie de l’époque aurait tenté d’exploiter : « La mairie nous a beaucoup stigmatisés et je pense que des gens se sont interdit de venir pour ne pas être ostracisés dans leur milieu », confirme Rémy. Pour réduire cette barrière sociale, la salariée organise des animations hors les murs. Atelier de danse hip hop, sortie ado, goû’thé dansant… Les affiches sur les murs de la salle commune s’accumulent. D’autres projets sont dans les cartons : une sécurité sociale et alimentaire en phase d’expérimentation, l’intégration des enjeux écologiques, et une laverie. Pour Cadine, l’association a gagné son pari initial : « Au début, Gentioux, je n’y aurais pas mis les pieds, c’était un désert. Et en fait, l’un appelle l’autre : une association est née, puis le café, l’épicerie… des gens achètent dans le bourg, qui se redynamise. On assiste à une sorte d’inversion des courbes ».
Bérénice Rolland
* Société coopérative d’intérêt collectif créée par des habitants et des élus du plateau de Millevaches pour tenter de répondre aux problèmes de manque et de mal logement de la région.