Dans ce journal, on fait tellement confiance aux stagiaires que me voici, prêt à vous dévoiler les secrets de la boutique ! Lucile au rapport.
Premier jour à L’âge de faire : c’est Lisa, cheveux courts grisonnants, qui m’accueille et me présente les lieux. « Le bâtiment est sur deux niveaux, les bureaux sont en haut. » La pièce la plus emblématique restera pour moi les toilettes, aux murs placardés de journaux des copains, et avec son extraordinaire brosse à récurer les WC à l’effigie de Macron. Très fier d’avoir dégoté mon stage, j’apprends, à mon arrivée, que Bérénice, une autre stagiaire, a été envoyée en reportage dans la Creuse. Mon ego en prend un coup. Je découvre qu’à L’âge de faire, on laisse sa chance à toustes, et on fait confiance aux stagiaires tout en les soutenant (j’espère ne pas engendrer une future vague de candidatures féroces…). On leur fait tellement confiance, que, me voici, prêt à vous dévoiler les secrets de la rédaction ! Lucile au rapport.
Décisions collectives
On commence par les basiques : L’âge de faire, c’est une société coopérative de production. Les sept salariés détiennent la majorité des voix et du capital de l’entreprise. Celle-ci est basée à Château-Arnoux-Saint-Auban, dans les Alpes-de-Haute-Provence.
L’équipe est au complet seulement les jours de bouclage et de réunions, pour finaliser le journal du mois et prendre les grandes décisions de gestion de la Scop. L’âge de faire est un périodique mensuel qui couvre l’actualité nationale, les journalistes salariés sont installés dans le quart sud-est de la France : Lisa Château-Arnoux-Saint-Auban, Lucie dans le Trièves, Fabien à Lyon et Nicolas à Alès. Comme dans de nombreux journaux indépendants, les coûts de production sont trop importants par rapport aux recettes. Une réunion des salariés a donc eu lieu mi janvier pour déterminer le nouveau prix de vente. Ce qui m’a marqué : leur volonté de ne pas manipuler les lecteurices par des concepts marketing. Je proposais notamment de passer le journal de 2,80 euros à 2,95 euros afin que la transition se fasse plus en douceur, mais mes méthodes capitalistes n’ont pas fait l’unanimité !
Après le bouclage, le ménage
Lors de la réunion, il a également été proposé d’augmenter le prix du journal au-dessus de 3 euros : « Tant qu’à augmenter, autant le faire pour qu’il y ait au moins une petite différence dans les faibles revenus de la vente. » Mais après discussion, cette idée a été abandonnée. La majorité ne fait pas loi : les décisions se prennent au consensus. Ça fonctionne, d’abord parce que les intérêts des uns et des autres sont semblables, mais aussi parce qu’une certaine entente et confiance au sein du groupe s’est créée. Lors de la semaine de bouclage qui réunit toute l’équipe, la rédaction s’attelle à achever les articles, l’édito, les dernières brèves et les trois bricoles qui manquent. Sous l’œil avisé de la graphiste Lydia, certain·es construisent la maquette, quand d’autres relisent encore et encore les papiers et effectuent les corrections nécessaires. Toustes prennent soin de demander au collègue si telle ou telle modification du texte lui convient. À L’âge de faire, on a une étonnante capacité de gestion du stress mais aussi une tendance à consommer des boissons chaudes sans interruption.
Le journal achevé, pas de repos pour l’équipe, qui astique la Maison commune. « Avec les différentes associations du lieu, on alterne les tours de ménage », explique Lisa. C’est dans les bureaux désormais pimpants que la réunion pour le prochain numéro a lieu. Les idées fusent : loi immigration, contraception, tuto macramé ou encore clown activiste, finalement le chemin de fer qui les liste est déjà presque complet – certaines d’entre elles devront donc patienter plusieurs mois pour se voir réalisées.
La recherche des sujets se fait selon la sensibilité de chacun et la ligne éditoriale. On cherche parfois à être proche de l’actualité, mais surtout à mettre en lumière des initiatives locales aux impacts positifs. De temps à autre, les avis divergent. « Pourquoi mettrions nous en avant un journal parisien ? L’île de France est déjà surreprésentée dans les médias », a-t-il été interrogé vis-à-vis d’une idée de reportage. Certaines thématiques ne sont pas retenues : vous ne trouverez pas d’article, malgré mon engouement, sur la Fetish Week de Paris, un festival qui spectacularise les fétichismes gays.
On ne pointe pas, mais on cuisine
À L’âge de faire, on ne pointe pas, on arrive et on part quand on peut selon ses différentes contraintes, l’essentiel étant d’achever le journal à temps. Le déjeuner se prend lorsque l’un·e décide de cuisiner. Au rez-de-chaussée, il y a le nécessaire pour concocter de bons petits plats (mis à part le four qui sert davantage à réchauffer les restes qu’à cuisiner des gratins). On aime préparer de grosses salades de légumes frais et de saison. Ma volonté de nuire au journal vous permet de constater que l’équipe est tout à fait à l’image des valeurs qu’elle défend, solidaire et joyeuse.
Lucile Vitrac