Depuis 2021, le Comité local de l’alimentation de Cadenet (Vaucluse) travaille d’arrache-pied pour mettre en place un système de Sécurité sociale alimentaire. Pendant un an, à partir du 5 avril prochain, trente-trois volontaires du village recevront 150 euros par mois. Un budget qu’ils utiliseront pour accéder à une alimentation durable et garantir les droits des producteurs alimentaires.
Là où la carte vitale passe, les frais de santé trépassent. Ce petit rectangle de plastique vert que chaque Français garde dans son portefeuille est un précieux atout garanti par la Sécurité sociale. Et si, à l’instar d’un arrêt maladie ou d’une ordonnance chez le pharmacien, la Sécu prenait en charge l’alimentation ? Une réflexion jugée « utopiste » par certains. Mais pour d’autres, c’est une opportunité en or pour revendiquer un droit à l’alimentation et une juste rémunération des producteurs alimentaires. C’est l’avis d’Éric Gauthier, président de l’association Au maquis, basée à Lauris (Vaucluse). C’est un café associatif qui a l’habitude de proposer des ateliers et des évènements culturels.
Éric Gauthier est un convaincu de l’avenir de la Sécurité sociale alimentaire. « La Sécurité sociale est apparue dans l’agonie de l’après-guerre, rappelle le militant. Nous aimerions rajouter l’alimentation en tant que branche à part entière dans la caisse de la Sécu’, qu’elle soit en gestion populaire, à l’image de son mode de fonctionnement dans les années 1950. Lorsque l’on s’y met, on a la capacité de prendre des décisions », ajoute-t-il, confiant.
En supermarché, 80% des aliments sont ultra-transformés
L’expérience débute en janvier 2021. L’association réunit 25 curieux pour former le Comité local de l’alimentation de Cadenet (Clac). Ils ne sont pas militants, mais ils aiment la nourriture : par exemple, l’un d’entre eux est un ouvrier agricole. Une autre personne travaille dans une Association de maintien de l’agriculture paysanne (Amap). De tous les âges, de tous les genres, issus de milieux complètement différents : la diversité du comité est un atout, selon Éric Gauthier. « Notre groupe représente bien la population de Cadenet », dit-il.
Au départ, le comité se réunit toutes les deux semaines. Démocratie participative, conventionnement, alimentation durable… Les membres s’instruisent, conférence après conférence, sur différents sujets. Ils doivent les maîtriser pour pouvoir répondre ensemble à cette question : en 2052, à Cadenet, à quoi ressemble notre avenir alimentaire désirable ? Une chose est sûre : « Aujourd’hui, 80 % de l’alimentation disponible dans nos supermarchés est ultra-transformée* », affirme Éric Gauthier. 31 % de l’assiette des Français en est constituée.
« Nous n’avons plus le temps d’aller vite »
Le groupe a trouvé un consensus : « L’aliment doit être issu d’une agriculture durable. Il faut également qu’il soit indépendant de l’industrie alimentaire et que les conditions de travail de ses producteurs soient respectées. » Lorsqu’un aliment est complètement pris en charge, il est conforme à l’idéal alimentaire. S’il en est proche, il est remboursé à 70 %. Enfin, une prise en charge à 30 % permettra d’encourager certaines initiatives.
Ce barème est fait pour être appliqué aux produits vendus dans le village. À la base, le comité ne pensait pas pouvoir mettre en place son système de conventionnement avant longtemps. Mais il pourra tester ses hypothèses grâce au financement, à hauteur de 60 000 euros, obtenu de la Fondation de France.
Près de trente-trois habitants du village, y compris cinq membres du Clac et cinq personnes de l’épicerie sociale de Cadenet, se sont portés volontaires pour servir de cobayes. Pendant un an, ils recevront 150 euros par mois à dépenser dans les commerces du village.
Du côté des commerçants, l’idée gagne en popularité. Une épicerie locale change même ce qu’elle propose en rayon pour correspondre davantage à la liste des aliments conventionnés. Aujourd’hui, le comité local d’alimentation de Cadenet attend impatiemment le lancement de sa caisse, le 5 avril. Le résultat de plusieurs années de travail intensif : selon le militant, il ne faut pas risquer de tomber dans des politiques solutionnistes.
« Aujourd’hui, nous n’avons plus le temps d’aller vite, résume-t-il. « Ce qui a fait que la Sécurité sociale ait pu se mettre en place, ce sont les décennies de réflexion qui ont précédé sa création et la voix des travailleurs. »
Rachel Andres
*Aliments fabriqués avec des procédés industriels à partir de denrées précédentes, d’additifs et de produits industriels, selon l’Inserm.
> Sur la Sécurité sociale de l’alimentation, lire aussi notre n°187, septembre 2023.