Le 2 mars à Pierre-Bénite, 350 personnes envahissaient l’usine chimique d’Arkema pour dénoncer l’empoisonnement de l’eau par les PFAS, avant d’être expulsées par la police. Le danger de ces composés fluorés, aux innombrables applications industrielles, est connu depuis longtemps par l’administration.
Pierre-Bénite, 6 km au sud de Lyon, au cœur de la « vallée de la chimie ». Samedi 2 mars en début d’après-midi, retentissent les sirènes des camions de police qui se pressent en direction de l’usine d’Arkema, face à la gare. Depuis la passerelle au-dessus des rails, des curieux observent la petite foule compacte qui chante et danse en contrebas, galvanisée par une fanfare, gardant ses rangs bien serrés face aux CRS. Sur les façades d’Arkema, deux banderoles de 8 mètres de côté, déployées depuis les toits, affichent une tête de mort et le mot « poison ».
Un peu plus loin, d’autres manifestant·es sont assis·es par terre, encadré·es par des CRS. Le grillage qui entoure le site industriel a été coupé ; un muret en parpaings est à moitié construit ; des tags dénoncent la pollution de l’eau générée par les PFAS, des composés fluorés développés pour leur résistance, leurs propriétés anti-adhésives ou anti-tâches. Quelques minutes plus tôt, 350 personnes en combinaisons blanches entraient sur le site industriel, dégondaient des portes, brisaient des vitres, montaient sur les toits. Peut-être avertie par les images de dizaines de passagers arrivant par le train avec leur combinaison, la police est arrivée fissa. L’opération « portes entrouvertes », organisée par les mouvements Extinction Rebellion et Youth for climat, a été écourtée et perturbée. Mais elle a rendu visible sa revendication : que l’entreprise rende des comptes sur les déchets qu’elle rejette, et assume ses responsabilités en matière de pollution et de maladies.
PROPOSITION DE LOI LE 4 AVRIL
Expulsés du site, les activistes restent groupés et font face pacifiquement aux CRS, réclamant la libération de huit personnes qui ont été arrêtées. Mais les forces de l’ordre sortent matraques et grenades lacrymogènes, pour faire reculer le long des rails le groupe le plus important. De l’autre côté, une cinquantaine de personnes ont été nassées. Parmi elles, un jeune homme en gilet jaune se charge de négocier leur départ cinq par cinq, sans qu’il y ait de nouvelles interpellations. Une jeune manifestante explique à deux CRS, qui ont à peu près son âge, pourquoi elle est là. « L’usine rejette dans l’eau des polluants éternels dangereux pour la santé. Le documentaire Dark Water, de l’émission Vert de rage, en parle, vous pouvez regarder.
– Je l’ai vu, il est pas mal, répond l’un des policiers.
– C’est bon à savoir », approuve son collègue. De l’autre côté du chemin de fer, un vieil homme observe la scène depuis la cour de sa maison.
Retenues 48 heures en garde-à-vue, les huit personnes arrêtées seront jugées le 18 juin, la plupart pour « groupement en vue de commettre des dégradations ». Trois ont été arrêtées avant même l’action, alors qu’elles sortaient de leur véhicule. Huit voitures de manifestants, garées sur le parking privé d’un restaurant fermé, ont été envoyées à la fourrière.
Si la répression policière et judiciaire n’a pas tardé, les activistes écologistes ont reçu des messages de soutien d’élus locaux. « En ce moment, quasiment chaque semaine, il y a une table-ronde ou un autre événement sur le sujet à Lyon, remarquent deux des organisateurs de l’action. Tout le terreau lyonnais environnemental se concentre là-dessus. » Une proposition de loi, portée par le député écologiste de la Gironde Nicolas Thierry, sera débattue le 4 avril à l’assemblée nationale. Alors qu’une interdiction au niveau européen pourrait aboutir en 2027, le texte préconise d’interdire dès 2025 certains usages de PFAS (emballages alimentaires, cosmétiques, textiles et fart). Il prévoit aussi le financement de la dépollution par les entreprises concernées.
LA MÉTROPOLE DE LYON ATTAQUE EN JUSTICE
Les PFAS, surnommés « polluants éternels » parce qu’ils ne se dégradent pas, ont tout du scandale sanitaire. Depuis les années 1990, et la contamination des eaux par une usine de Teflon aux États-Unis, on sait qu’une exposition à ces substances peut provoquer des lésions hépatiques, maladies thyroïdiennes, des problème de fertilité, du diabète, des cancers. « C’est au moment où le scandale éclatait aux États-Unis qu’Arkema a commencé à en utiliser en France, tranquille, soulignent les membres d’Extinction Rebellion. Si l’État prenait soin de la santé de ses citoyens, il aurait dit non ! »
À Lyon, l’affaire est devenue publique grâce à une enquête de France 3 révélant la contamination des riverains et travailleurs de la chimie. Une information connue de l’administration, mais étouffée. Arkema, qui produit un polymère utilisé dans la fabrication de microprocesseurs ou de batteries au lithium (1), et Daikin, dont l’État vient d’autoriser une extension, déversent de grandes quantités de PFAS dans le Rhône, qui les transporte en direction de deux champs captants, où s’alimentent en eau potable une centaine de communes. À l’automne, trente-quatre d’entre elles ont porté plainte contre X pour « mise en danger de la vie d’autrui ». Quelques mois plus tôt, quarante-sept habitants, dix associations et un syndicat déposaient un recours en référé pénal environnemental contre Arkema, réclamant une étude sanitaire et des sanctions contre l’industriel. Référé rejeté. Le 19 mars, c’est la métropole de Lyon qui a assigné Arkema et Daikin en référé, demandant une expertise judiciaire sur la pollution de l’eau.
Le Rhône n’est sans doute que la partie émergée de l’iceberg : les PFAS sont partout. En 2022, un rapport de l’inspection générale de l’environnement s’inquiétait du manque de connaissance sur ces composés, des difficultés à les détecter et à les quantifier, et de l’absence de solution pour les éliminer de l’environnement. « Les organismes de contrôle sont sous-équipés, il y a des coupes dans les effectifs de la Dreal (2), dénoncent les membres d’Extinction Rebellion. On laisse des entreprises empoisonner l’eau, mais quand des citoyens alertent, on leur envoie les CRS en 5 minutes. Où est la vraie violence ? »
Lisa Giachino
1 Arkema, qui affirme « respecter les réglementations », annonce qu’elle cessera d’utiliser des PFAS fin 2024.
2 Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement.