Deux chercheurs viennent de publier Une histoire de la conquête spatiale, histoire peu reluisante dont les racines sont à chercher du côté de l’Allemagne nazie et qui est aujourd’hui dominée par une bande de milliardaires fous comme Elon Musk ou Jeff Bezos.
Le 14 mars, SpaceX a une nouvelle fois tenté d’envoyer sa fusée Starship dans l’espace et de la faire redescendre sur Terre, pour pouvoir la réutiliser par la suite. L’enjeu financier est énorme pour la société du milliardaire Elon Musk, puisqu’une telle réutilisation permettrait de faire considérablement baisser les coûts de lancement. SpaceX écraserait alors la concurrence. Pour cette troisième tentative, le décollage a été réussi, mais pour le reste, c’est encore raté : aucune des deux parties de l’engin n’a pu être récupérée. L’entreprise ne parle pourtant que d’un demi-échec, car c’est le fonctionnement assumé de la boîte : on essaye, on rate, on casse et on reconstruit, en essayant de faire mieux la fois suivante. C’est une nouvelle phase de la « conquête spatiale », menée par les boîtes privées du New Space, comme nous l’expliquent les chercheurs Irénée Régnauld et Arnaud Saint-Martin, dans leur ouvrage Une Histoire de la conquête spatiale. Des fusées nazies aux astrocapitalistes du New Space. Les auteurs nous rappellent à travers ce livre que la conquête spatiale a toujours eu maille à partir avec l’éthique. Les prémices de cette industrie se trouvent en effet dans l’Allemagne des années 1930-1940, à travers l’ingénierie des missiles balistiques. En pleine guerre mondiale, les ingénieurs en chef disposent « d’une main d’œuvre techniquement qualifiée et préalablement “triée” par la SS dans les camps de concentration (…). En 1943, environ 3000 travailleurs forcés originaires des camps de Mauthausen et Buchenwald (…) sont bientôt “livrés” et mis à disposition sur les chaînes d’assemblage ». Une fois la guerre terminée, quelques-uns des principaux chercheurs allemands ayant participé à ce programme sont accueillis par des pays qui acceptent de fermer les yeux sur leur passé nazi. Au rang de ces pays : la Russie, la France, et surtout les États-Unis.
Lune et désalinisation…
Durant la guerre froide, l’URSS et les États-Unis vont se tirer la bourre, les deux puissances ayant à l’esprit que celui qui prendra le contrôle de l’espace aura, du même coup, le contrôle de la Terre. Et puis, il y a le prestige. Les Soviétiques vont marquer les esprits en envoyant le premier homme dans l’espace. Ce à quoi les États-uniens répliqueront en marchant sur la Lune, alors même que le président qui a lancé le programme Apollo n’était pas particulièrement emballé par l’idée. Les auteurs nous apprennent en effet que John Kennedy « aurait préféré qu’un autre projet scientifique tienne la dragée haute à l’URSS, dans des champs scientifiques éloignés, par exemple celui de la désalinisation de l’eau qui, de son point de vue, pouvait présenter de biens meilleurs avantages à long terme que le fait de fouler le sol lunaire ». JFK s’est finalement plié à l’idée de conquête spatiale, qui a aussi été l’une des plus importantes opérations de « relations publiques » – autrement dit de propagande – de l’Histoire. Il fallait bien justifier les sommes astronomiques englouties dans ce programme. Les communicants ont alors mis au point une naturalisation de cette aventure, arguant qu’il serait inscrit dans la nature humaine de repousser les frontières toujours plus loin. Après la conquête de l’Ouest, allons marcher sur la Lune ! Pourtant, comme nous l’avait déjà expliqué Arnaud Saint-Martin, « la course à l’espace est avant tout une course à l’armement »*.
Satellites low cost
Aujourd’hui, outre l’aspect militaire, ce sont les télécommunications qui constituent les principales activités spatiales – l’un et l’autre pouvant aller de pair, comme l’a montré l’utilisation du réseau Starlink par l’armée ukrainienne. Dans ce domaine, c’est encore SpaceX, d’Elon Musk, qui fait actuellement la course en tête, avec des offres déjà disponibles pour se connecter à internet via des connexions satellitaires. Ce qui ne signifie pas que le réseau sera un jour totalement déployé, ni qu’il fonctionnera très longtemps. En effet, « il faut remplacer ces satellites low cost au bout de cinq-six ans (…). La première phase de déploiement des [satellites de première génération] sera terminée au moment où il faudra les désorbiter, et intensifier par conséquent le déploiement des générations suivantes », rappellent Irénée Régnauld et Arnaud Saint-Martin. Et comme, justement, pour accélérer le déploiement des satellites de seconde génération, Elon Musk compte sur la fusée Starship, chaque échec de celle-ci assombrit l’avenir du programme Starlink.
Nicolas Bérard
* Lire L’âdf n° 183 et notre dossier consacré à l’espace, pour lequel nous avions interrogé Arnaud Saint-Martin.
> Une histoire de la conquête spatiale, Irénée Régnauld, Arnaud Saint-Martin, Ed. La fabrique, 2024, 280 p., 20 euros.