Après la fin de la dure lutte contre l’aéroport qui a bien failli goudronner le bocage nantais, les zadistes-paysans de Notre-Dame-des-Landes ont poursuivi les expériences collectives. À la ferme de Bellevue, on squatte quelques hectares, on ne possède ni les murs, ni les terres, ni les machines agricoles. Un lieu où rien n’est aux normes et tout à prix libre.
Derrière la cour de la ferme de Bellevue, quatre vaches sans proprio broutent tranquillement une prairie squattée. Les pattes dans les hautes herbes, on aperçoit des croisées bretonne, charolaise et jersiaise, une petite race à la robe fauve. Juli, l’unique fromagère de la Zad, s’approche doucement de Grabuge, « sa préférée », avant de la caresser.
Rappelez-vous. En janvier 2018, Macron tranche. Vinci viré. Pas de tarmac entre les haies. Mais la « victoire » contre la construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes amène d’autres conflits, entre ceux qui veulent rentrer dans les clous, et les occupants déçus qui ont quitté la lutte.
Ceux qui restent ne veulent pas obéir à tout. Ils croient alors aux structures sociales collectives et autogérées. Pour bosser la terre, les paysans se sont organisés autour de la CurCuma (comme Coopérative d’usure, de réparation, de casse et d’utilisation du matériel agricole). En gros : on casse et on répare ensemble les machines et les outils qui appartient à tous et toutes.
Machine collective
Casquette grise et gilet sans manches, la paysanne se rappelle. « Ça a commencé sur les barricades. Il y avait des squatteurs et des culs terreux qui étaient là ensemble. Il y avait plein de gens différents de mondes très différents. Les gens du coin nous ont offert des vaches. La fromagerie a aussi été construite collectivement. » Les paysans du cru transmettent leur savoir-faire aux zadistes « qui n’y connaissent rien ». Ils apprennent aux membres du groupe « vache », dont fait partie Juli, à utiliser, régler les machines et à conduire les tracteurs. Grâce à la CurCuma, les machines retrouvent une énième jeunesse. Chaque tracteur a un·e référent·e. Dès que les machines sont en rade, les habitant·es organisent des chantiers collectifs de réparation et d’entretien mécanique. Et tout le monde compte les heures et note les éventuelles réparations. Tous les étés, Juli peut faire ses foins avec la botteleuse commune et le tracteur collectif.
« Faire confiance en des personnes plutôt qu’en des billets »
On prend un café dans la cuisine collective de la ferme. Pierrot le forgeron nous rejoint à table. La cuisine, le ménage, la vaisselle sont assurés par les participant·es selon leur bonne volonté. Des vêtements récupérés sont dispos gratuitement. Et pour les courses, chacun participe selon ses moyens, car l’argent « ne se mange pas », comme il est affiché au-dessus de l’évier. Et on préfère « faire confiance en des personnes plutôt qu’en des billets ».
À l’abri d’un petit appentis, Juli me montre un frigo en libre service où chacun peut se servir en fromages qu’elle fabrique et mettre quelques pièces. L’argent sert à acheter du lait aux petits lorsque les vaches sont taries, du matos de fromagerie, entretenir les installations, ou participer aux frais de la ferme… Il y a quelque temps, pas mal de gens lui ont filé des coups de main. « Quand je vois le succès de tes fromages, ça va donner des idées à certains. D’autres vont s’installer dans la Zad », lui glisse Pierrot en finissant sa tasse.
Les habitants de la ferme de Bellevue veulent aussi cultiver les terres sans propriété, grâce à une structure collective comme Sème ta Zad. Chaque personne vient avec son idée et compte sur le groupe pour l’aider. On décide ensemble d’utiliser le pot commun pour racheter une forge à Pierrot ou du matériel pour la fromagerie.
Six hectares de terres sont partagées. Et si on a besoin de plus, on peut toujours aller voir ailleurs. La fromagerie appartient à personne et à tout le monde. Pas d’emprunts à la banque, pas de statuts. « Et hors de question de lancer un Gaec ou je ne sais quoi. Il faudrait vraiment être con pour se rajouter des obligations sur le dos. »
Clément Villaume