Les bidonvilles, où vivaient majoritairement des Comoriens des autres îles, sans papiers français, ont été rasés par Chido. Invités par les autorités à se réfugier dans des bâtiments publics, leurs habitants ont eu peur d’y être accueillis par la police.
Quatre jours après que le cyclone Chido a dévasté Mayotte, le samedi 14 décembre, personne n’était en mesure de donner un nombre même approximatif, de victimes. Se chiffreront-elles en centaines ? En milliers ? Les éléments expliquant une telle incertitude sont nombreux. Il y a d’abord et avant tout la violence de l’ouragan, qui a totalement ravagé cette île de l’archipel des Comores, dans l’océan Indien. « On a l’impression d’être dans un désert, décrit une habitante qui vit pourtant dans la partie sud de l’île, moins touchée que le nord. Les arbres n’ont plus de feuilles. Dans la cour de ma famille, le grand arbre à pain a été cassé ». La chair nourrissante des fruits à pain constitue une source d’alimentation importante pour les Mahorais. Tout comme les bananiers, eux aussi arrachés. « Ces jours-ci, on abat beaucoup de zébus qui ont été blessés, poursuit notre interlocutrice. Mais ça va être compliqué de conserver la viande. » Quant aux congélateurs, dans lesquels de nombreuses familles ont l’habitude de stocker des denrées, « tout leur contenu est à jeter ». Ces pertes n’ont rien d’anodin : parmi les départements français, Mayotte est la fois le plus pauvre et inégalitaire.
Cases en tôle accrochées aux pentes
Effrayant pour tout le monde, le cyclone n’a pas eu les mêmes conséquences pour les habitants de maisons en dur que pour ceux des « bidonvilles ». Sur les hauteurs des grandes villes, principalement du chef-lieu Mamoudzou et de sa périphérie, des milliers de cases de fortune, souvent en tôles, abritaient en effet une population précaire, souvent sans papiers français, majoritairement issue des trois autres îles de l’archipel des Comores, qui constituent un pays indépendant, tandis que Mayotte est restée dans le giron français. Il ne reste rien de ces quartiers fragiles accrochés aux pentes.
La politique menée depuis des décennies à Mayotte a une lourde responsabilité dans l’ampleur des dégâts humains et matériels. Seuls 70 km de mer séparent Mayotte d’Anjouan, l’île comorienne la plus proche. Malgré l’instauration, en 1995, d’un visa obligatoire pour les Comoriens souhaitant venir à Mayotte, puis une intense et coûteuse « lutte contre l’immigration clandestine », puis l’accession de l’île au statut de département en 2011, aucune loi n’aura permis d’éloigner géographiquement ces territoires, au destin inévitablement lié. Quoique pauvre, le département de Mayotte fait figure d’îlot de prospérité dans la région, notamment par rapport aux Comores, que le FMI classe parmi les pays les plus pauvres du monde – son PIB par habitant le classe à la 181e place sur 192 pays. À cela s’ajoutent des liens culturels, historiques et familiaux, qui expliquent que des milliers de Comoriens viennent chaque année sur ce territoire français.
Une « chasse aux clandestins » qui cache les vrais problèmes
Dans cette situation si particulière, l’imagination politique a fait cruellement défaut. Dans leur grande majorité, les élus mahorais n’ont longtemps eu comme programme que l’accès au statut de département – qui vise pourtant à appliquer des règles souvent inadaptées au contexte local. Quant à l’État, il dissimule son manque de vision derrière un bouc-émissaire tout trouvé : les étrangers. Une « chasse au clandestin » aussi vaine que permanente, électoralement rentable, entraîne l’expulsion chaque année, de 20 000 à 25 000 personnes (5 à 10 % de la population du territoire). Pour se rendre compte du phénomène, cela représenterait dans l’Hexagone, l’interpellation et l’expulsion de 4 à 6 millions de personnes par an ! Au ministère de l’Intérieur, Sarkozy a ouvert le bal, suivi dans la surenchère par les Hortefeux, Valls, Castaner, Darmanin… Chaque année, les gouvernements successifs exhibent le nombre de reconduites comme un trophée, et la question migratoire passe systématiquement au devant d’autres pour expliquer le reste. Cette obstination se traduit dans les urnes : en 2022, la candidate RN est arrivée en tête de la présidentielle, aux deux tours. En 2024, pour la première fois de l’histoire, une député d’extrême droite est élue dans un département d’outre-mer. C’est que l’immigration est censée être la cause de tous les problèmes d’un territoire qui n’en manque pas.
« Déja penser au jour d’après » ?
Tout en participant à l’économie de l’île, les Comoriens sans papier français peuvent être expulsés du jour au lendemain – parfois en laissant leurs enfants derrière eux. Ils sont alors obligés de reprendre la mer au péril de leur vie, sur des embarcations fragiles, trop lourdement chargées et traquées par la Police aux frontières. Ils constituent le gros de la population des bidonvilles. Cet habitat insalubre était connu de tous comme une bombe à retardement en cas d’ouragan ou de séisme. Devant le danger annoncé par Météo France, les autorités ont appelé la population habitant ces cases en tôle à s’abriter dans des bâtiments en dur (écoles, gymnases…). Mais une grande partie des personnes concernées ont eu peur d’être accueillies par la Police aux frontières plutôt que par des secouristes, et ont donc préféré rester dans leurs maisons de fortune. Les politiques encourageant le durcissement continuel de la lutte contre l’immigration clandestine, jusqu’à la rendre totalement inhumaine, sont donc en partie responsables du bilan humain de Chido, qui s’annonce terrible. À peine trois jours après la catastrophe, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau expliquait qu’il fallait « déjà penser au jour d’après ». Sa solution consiste à « traiter, avec la plus grande détermination, la question migratoire. »
Nicolas Bérard et Lisa Giachino
Pour comprendre la situation de l’île, lire Mayotte, département colonie, Rémi Carayol, La Fabrique, 2024.