Le soir du 28 juin, dans le quartier multiculturel du Blosne, à Rennes, des collégiens ont fait la restitution de leur semaine de travail avec le collectif d’artistes Sitala, présent au Burkina Faso et en France. Un moment de fête et de mélange, durant lequel les jeunes ont pu exprimer leur ras-le-bol du racisme.
Un couple de parents, blancs et un peu chics, imitent avec soin les gestes du danseur burkinabé. Dans leurs pattes, des bambins de toutes couleurs s’appliquent eux aussi à suivre la chorégraphie. Des ados ont oublié d’être blasés et sautillent pleins d’enthousiasme. Des profs se trémoussent au rythme des percussions. Une maman vêtue d’une robe et de son voile assorti, d’un vert aussi vif que les feuillages après la pluie, chaloupe gracieusement. La petite foule d’enfants, de parents, d’enseignants et d’habitants qui passaient là par hasard, a repris en chœur derrière le chanteur : « Que tu sois marocain, sitala. Que tu sois italien, sitala. Que tu sois africain, sitala. Que tu sois européen, sitala. Que tu sois chinois, sitala »… etc. « Sitala, c’est « Nous sommes un » en bambara, explique Harouna, le chanteur du groupe. Nous sommes un, quelle que soit la couleur. Je suis vraiment ému, même les parents ont compris le message. C’est comme ça que le monde doit exister. »
Talents révélés
Nous sommes à Rennes, dans le forum extérieur du centre culturel le Triangle, au sud de la ville, dans le quartier du Blosne qui réunit de multiples origines. C’est vendredi soir, avant-veille d’élections législatives. Alors que les rues bruissent de rumeurs se demandant à quelle sauce le pays sera mangé, il y a du réconfort dans cette explosion de chaleur humaine.
Les 4e du collège La Binquenais ont travaillé toute la semaine avec les artistes de l’association Sitala. Après des ateliers de découverte, ils ont choisi entre djumbé, doum-doum (percussions qui se jouent avec des baguettes), danse et théâtre-forum, et répété pour le spectacle de ce soir. Vendredi matin, le collège résonnait du son des percussions africaines, tout comme le Polyblosne, lieu associatif où s’entraînaient les danseurs. Voyant se mélanger les élèves des différentes classes de 4e, les enseignantes se réjouissaient de voir qu’au bout d’une semaine vécue en commun, les jeunes de Segpa n’étaient plus mis à l’écart. La semaine artistique a aussi permis de révéler des talents comme celui de Rama*, jeune fille sourde et appareillée, très à l’aise et souriante au premier rang des danseurs.
Théâtre forum
Le spectacle a commencé par une séance de théâtre-forum. Pour choisir le thème, les élèves ont puisé dans leur propre expérience. « On va vous présenter une scène qui s’est passée dans le réel », explique Mohammed. Dans le métro, une femme blanche ordonne à un garçon noir de lui céder sa place, en le traitant de singe. Les passagers regardent ailleurs, ou tentent vainement d’intervenir.
« Maintenant, on va demander aux comédiens de refaire la scène et si vous voulez que ça change, vous dites stop », annonce Mariam. « Et c’est comme dans la vraie vie : si on ne fait rien, rien ne change », complète Aude, animatrice de l’atelier théâtre. Dans le public, Russel piaffe d’impatience. Il crie « stop », prend la place de son camarade, et tient tête à la passagère raciste en lui faisant remarquer qu’elle pourrait lui demander sa place poliment, sans l’insulter. « T’as pas d’humour », lui rétorque la femme. « C’est de l’humour noir, non ? », répond Russel du tac au tac. Rires et applaudissements. Russel, noir comme son personnage, savoure sa victoire. D’autres élèves iront sur scène pour prendre la place de l’un des acteurs, avec souvent l’envie de réactions plus frontales. Le théâtre forum ne sert pas seulement à chercher des réponses efficaces face à des situations problématiques. Il peut aussi jouer un rôle d’exutoire, d’expression des émotions.
Les tournées Sitala
Estelle Moumin, coordinatrice du Réseau éducation prioritaire renforcé sur le quartier, travaille régulièrement avec les collégiens sur l’interculturalité, l’identité et la laïcité. Elle a fait appel à l’association Sitala, qui cherche à « rapprocher les peuples et les générations », et qui compte une antenne au Burkina Faso et une à Sulniac, dans le Morbihan. Ce collectif d’artistes propose des interventions dans chacun des deux pays. Régulièrement, des artistes burkinabé viennent en France et participent à une tournée à bord du bus Sitala, rempli d’instruments de musique et de costumes qui permettent la création de spectacles comme celui de ce soir. « Ces tournées permettent de nous salarier toute l’année, au Burkina, pour intervenir dans les collèges ou auprès de mineurs détenus », explique Harouna.
Lisa Giachino
*Le prénom a été modifié.
Photo : Estelle Moumin