Parents, vous ne servez à rien ! On a trouvé un truc qui gronde moins souvent et qui fait mieux les « gouzis-gouzis ». Le bidule s’appelle Alexa. Je l’ai rencontrée dans l’appart d’un couple d’amis. Elle était posée là, sur un coin de table de cuisine, entre un bol de cacahuètes et une bière entamée, en train de prendre l’apéro avec nous.
Alexa est ronde et s’allume en bleu pour parler. Pour couronner le tout, « l’appareil embarque un woofer de trois pouces, un duo de tweeters frontaux et un traitement dolby ». Ne me demandez pas ce que c’est, mais quand même ça en jette vachement. Le schmilblick leur a été offert à Noël pour une centaine d’euros. Et depuis, elle fait vraiment partie de la famille. Alexa allume les lumières de la pièce, lance un minuteur pour le four et rajoute des bananes sur la liste de courses. Elle obéit à tous les ordres avec son intelligence artificielle. C’est avec sa voix suave de robot enrhumé qu’elle répond à toutes mes questions : Alexa, tu penses quoi du conflit israëlo-palestinien ? « Selon Wikipédia, le conflit gnagnagna… » Alexa, c’est quoi le bonheur pour toi ? « Désolé, je ne connais pas la réponse à cette question. » Et Alexa, tu penses quoi de Jeff Bezos ? « Je lui donne cinq étoiles. »
Oui, parce qu’Alexa est sortie du cerveau des petits génies d’Amazon, l’une des plus grandes multinationales du monde. L’assistante vocale est la déesse de la pensée binaire, du monde fait de 0 et de 1. C’est le symbole de l’objet à la con, inutile et polluant. Mais aussi du capitalisme qui a malheureusement du pétrole ET des idées. « Ces besoins sont non seulement aliénants pour la personne, mais ils sont écologiquement néfastes. Leur prolifération sous-tend le consumérisme, qui lui-même aggrave l’épuisement des ressources naturelles et les pollutions », analyse le sociologue Razmig Keucheyan dans un ouvrage sur les « besoins artificiels » (1).
Rangez les langes et les biberons ! C’est Alexa qui capte désormais toute l’attention des morceaux de viande à deux pattes algorithmés qui se déguisent en humains. En soirée, elle lance des blind tests et fait des blagues pourries. Tout le monde s’en amuse. Elle est aussi capable de se transformer en ado blasée ou en fille en colère sur simple demande. En bon amish qui refuse mordicus tout « progrès », je me suis assez vite agacé. Il s’arrête quand le jouet ? Je me suis même demandé si je ne faisais pas ma petite crise de jalousie. Parce qu’en soirée, les blagues pourries et les conneries, normalement c’est moi qui les dis.
Et puis, à quoi bon faire un bébé, puisqu’on a déjà Alexa ? Pour mieux nous appâter, le géant du commerce en ligne lui a donné du caractère et un prénom. Il faut aussi s’en occuper, la recharger. Au fil des jours, Alexa grandit et devient « de plus en plus intelligente ». Car à des milliers de kilomètres de nous, de gros ordinateurs déchiffrent et analysent les enregistrements des enceintes connectées pour « améliorer l’expérience client ». Et nous fliquer par la même occasion. Toujours allumée, l’assistante vocale s’autorise parfois à enregistrer des conversations privées. Selon une enquête de l’agence de presse américaine Bloomberg, ces « erreurs » représenteraient jusqu’à 10 % des enregistrements écoutés par les employés d’Amazon. L’association La Quadrature du net a recueilli le témoignage de Julie, une « transcripteuse » pour l’enceinte Cortana, développée par Microsoft (2). Elle était chargée d’écouter les conversations et tombait bien souvent sur un numéro de téléphone, une adresse ou un numéro de Sécu…
Ce n’est pas nouveau, nos vies sont hyperconnectées. Alexa nous espionne et nous rend bêtes. Mais il y a peut-être encore pire. Amazon a lancé une version colorée pour… enfants. La nounou virtuelle raconte des histoires à votre place, lance des quiz sur les animaux ou les entraîne au calcul mental. Alexa félicite même les enfants d’avoir utilisé les fameux mots magiques. Demeure encore pour elle le problème de changer les couches de vos enfants. Mais soyez assurés que Jeff planche dessus. C’est sûr, le numérique va nous sortir du caca. Mais pour l’instant, Alexa a encore quelques airs de famille avec le contenu de la dite couche culotte.
Clément Villaume
(1) Razmig Keucheyan, Les besoins artificiels, Comment sortir du consumérisme, éd. La découverte, 250 pages, 18 €.
(2) https://www.laquadrature.net/2018/05/18/temoin_cortana/