L’épidémie de Covid a mis en suspens une « réforme » de l’assurance chômage. Mais pour combien de temps ? Pour Sandrine, salariée de Pôle Emploi et syndiquée à la CGT, il y a malheureusement fort à parier que ce ne soit qu’un report à court terme.
L’âge de faire : Quels effets a eu la crise du Covid-19 sur Pôle Emploi ?
Sandrine : En deux mois, les pratiques ont énormément changé, notamment sur la numérisation : les gens s’appellent sur Skype, il y a désormais des injonctions à convoquer les chômeurs par visioconférence… La numérisation était déjà très présente, notamment depuis 2015, avec la mise en place d’algorithmes qui sont censés faire le travail de certains agents. Mais on sent qu’elle risque de s’accélérer encore suite à cette crise.
Quant à la réforme de l’assurance chômage, elle devait entrer en vigueur au 1er avril, mais une des premières mesures du gouvernement, après l’annonce du confinement, a été de repousser sa mise en application. Et heureusement, parce qu’elle se traduirait par une réduction sans précédent des droits des chômeurs. Ça fait 20 ans que je suis à l’assurance chômage, c’est la première fois que je vois une baisse des droits aussi brutale et conséquente. Les nouvelles règles touchent notamment les personnes qui ont des activités par intermittence. Les périodes non-travaillées vont désormais être comptabilisées dans le calcul de leur taux d’indemnisation. Elles pourront voir leurs droits diminuer jusqu’à 60 %. C’est énorme !
Comment expliquer ce coup de force du gouvernement ?
S. : Juste avant le confinement, j’ai eu une formation technique sur l’application de la réforme et je comprenais, avec des chiffres devant les yeux, que j’assistais bel et bien au coup de grâce de l’assurance chômage. En octobre 2019, il y a d’abord eu la disparition des cotisations salariales destinées au financement de l’assurance chomâge. Celle-ci fonctionnait jusque-là sur le principe de la répartition : c’était une caisse, la caisse des salariés, qui était redistribuée. Chacun cotisait selon ses moyens et recevait selon ses besoins, au même titre que la caisse de sécurité sociale.
Les cotisations salariales ont donc disparu, et il ne reste que les cotisations patronales – mais avec une volonté de les faire disparaître également. En supprimant les cotisations, tout en faisant passer ça pour une augmentation de salaires, il y a eu une étatisation de la caisse. Selon nous, ça constitue un rapt de la caisse des salariés. Ils ont remplacé les cotisations par un impôt, la CSG, qu’ils ont étendue aux retraités. On n’a vu que la face émergée de l’iceberg : l’imposition d’une CSG aux retraités. Mais en réalité, ça cachait aussi la remise en cause de l’assurance chômage.
En quoi cela change fondamentalement le fonctionnement de l’assurance chômage ?
S. : C’est un renversement du modèle social. Quand on a cotisé, la caisse correspond à l’argent des salariés. Pour en bénéficier, dans l’absolu, il n’y aurait même pas besoin d’y opposer des devoirs particuliers. Ce n’est plus le cas avec l’étatisation. Et d’ailleurs, tout cela s’accompagne d’un durcissement des contrôles des chômeurs, qui est beaucoup plus difficile à contester aujourd’hui puisque l’État va pouvoir dire qu’ils bénéficient de l’argent des impôts. On passe donc à un système d’assistanat, au bon vouloir de l’État.
Le budget perd aussi de sa transparence. Tant que c’était des cotisations, elles étaient redistribuées dans leur totalité, pour le versement des allocations chômage et pour des aides d’accompagnement à l’emploi, etc. Maintenant, c’est fongible avec d’autres budgets de l’État. Donc, si demain ils veulent remettre en cause une partie des droits des chômeurs, ils peuvent le faire. Et c’est d’ailleurs ce qu’ils font !
La crise du Covid a-t-elle donné un peu de répit à ces changements ?
S. : Oui, sur la baisse des montants des droits. En revanche, il n’y a pas de répit sur la numérisation de la relation entre Pôle emploi et les usagers, et cela va s’accompagner d’un durcissement des contrôles et des sanctions. Il y a une expérimentation en cours sur un système de « journal de bord » du chômeur, dans lequel il va devoir consigner, de manière périodique, toutes ses recherches d’emploi. C’est un contrôle numérique, car s’il ne saisit rien dans ce journal il pourrait y avoir une remise en cause de la sincérité de sa recherche d’emploi. Et ça pose le problème de l’accès aux informations recueillies, sachant que tout va être tracé, enregistré…
Recueilli par Nicolas Bérard
Numéro 153 – Juillet-Août 2020
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Dossier 4 pages : Levons le pouce !
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