Laurent Thérond, vigneron dans le Vaucluse, et un militant de l’association Tous migrants ont passé 35 heures en garde à vue suite aux maraudes de nuit organisées dans le cadre d’une action syndicale nationale menée par la Confédération paysanne et Solidaires, le 20 mars. Le but était de dénoncer les politiques publiques agricoles qui mettent en concurrence les paysans du monde et poussent les populations appauvries à l’exil.
L’âge de faire : Rappelez-nous les faits qui ont conduit à votre mise en garde à vue au côté d’une personne de l’association Tous migrants.
Laurent Thérond : On a fait des maraudes dans la soirée vers le col de Montgenèvre. J’étais avec un jeune de Tous migrants, on est allés se poster à l’entrée du col, côté français et on a attendu. Il faisait moins dix degrés, il y avait du vent. Vers minuit, on a appris que des migrants pouvaient arriver de l’autre côté du col. On s’est déplacés, tout en restant côté français. Notre idée, c’était de leur apporter du réconfort et de les ravitailler. On a vu arriver cinq migrants dont deux avaient l’air fatigué. On a pris contact et là, une patrouille de gendarmerie nous est tombée dessus. Ils étaient bien une quinzaine. On est tous allés au poste de la Police aux frontières (Paf). Les gendarmes dans leur témoignage ont dit que nous venions d’Italie. L’officier de police judiciaire nous a chargés. Ils nous ont pris pour des passeurs. On a été mis en garde à vue. Ils nous ont cuisinés, mais nous, on n’a pas lâché. On n’a pas mis un pied en Italie, on était bien du côté français de la frontière. Le substitut du procureur, quand il a vu la levée de boucliers et le peu d’éléments dans le dossier, nous a libérés après 35 heures de garde à vue.
Quel regard portez-vous sur ce qui s’est passé ?
L.T. : Ils étaient prêts à nous faire passer en comparution immédiate. Soit les gendarmes ont fait un faux témoignage, soit ils se sont trompés. Il n’y avait pas de rapport entre les faits et ce qu’on nous reprochait. Pour moi, c’est une tentative de casser le mouvement des maraudeurs pour que les jeunes aient un peu plus peur, car ils y vont quand même une nuit sur deux. S’ils se disent : « je peux finir en taule », ça peut en refroidir certains. Ils voulaient faire un exemple. Très vite, on nous a dit : « Vous êtes dans la nasse, vous ne vous en sortirez pas. » On est sous complément d’enquête et j’aimerais qu’il y ait un procès pour faire du bruit. Il se trouve que les cinq migrants, deux Marocains et trois Tunisiens, venaient en France pour travailler dans l’agriculture avec des contrats Ofii (1). En passant par les voies normales, c’est très difficile avec le Covid.
Oliver Bel, vous êtes éleveur de brebis dans les Hautes-Alpes et porte-parole de la Confédération paysanne pour la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. L’action du 20 mars avait aussi pour objectif de pointer la responsabilité des politiques agricoles dans l’appauvrissement des paysans des pays du Sud, une des causes de l’immigration.
Olivier Bel : Un des points très importants est l’accaparement des terres par d’autres pays. La Chine investit largement l’Afrique au niveau foncier. Sur place, les paysans locaux ont de plus en plus de mal à conserver leur outil de travail. Les politiques agricoles, notamment la Pac, poussent à mettre en place des systèmes basés sur l’exportation et créent des distorsions. Comme, par exemple, les ailes de poulet qui arrivent à des prix inférieurs à ceux des producteurs locaux et qui déstabilisent le marché local. Les excédents sont envoyés souvent dans les pays d’Afrique. Ça permet de jouer sur les surplus et cette logique de surproduction met tous les paysans en concurrence. Nous, on défend la question de la souveraineté alimentaire pour l’Europe et la France. Il faut estimer les besoins alimentaires d’un bassin de population et mettre en face les producteurs et les surfaces agricoles nécessaires pour produire cette alimentation. C’est la question des ressources et des besoins.
Vous dénoncez également notre système basé sur l’exploitation des travailleurs étrangers.
O.B. : Le modèle agricole actuel a besoin, et c’est très vrai en Paca, d’une main d’œuvre peu chère, peu revendicative, qui travaille 8 à 10 heures, sans pauses et avec des salaires au Smic. La question du modèle agricole rejoint celle des salariés agricoles migrants et saisonniers qui sont la variable d’ajustement dans cette course au prix mondial et à l’export où il faut être en capacité de produire le moins cher possible et les plus gros volumes. Et pour faire ça, il faut de la main d’œuvre qu’on peut mobiliser rapidement. Ainsi on fait appel aux travailleurs Ofii et aux travailleurs détachés (2) en passant des accords internationaux et en faisant évoluer la réglementation du travail au niveau européen pour rendre tout ça légal. En octobre 2020, les producteurs de clémentines ont affrété un avion pour faire venir 300 marocains sous contrat Ofii en Corse.
Propos recueillis par Nicole Gellot
1 – Travailleur étranger non européen, géré par l’Office français de l’immigration et de l’intégration et embauché par une entreprise française en CDD.
2 – Salarié envoyé par son employeur (et géré par une boite d’intérim) dans un autre État membre de l’Union européenne, pour une durée déterminée.