Une centaine de théâtres sont occupés en France depuis plus d’un mois. Que se passera-t-il le jour où le gouvernement décidera de rouvrir les lieux de culture ? Les discussions vont bon train, comme ici, au théâtre de la Criée, à Marseille.
Ce lundi 19 avril, une cinquantaine de personnes se trouvent dans les locaux du théâtre de la Criée, à Marseille. Comme une centaine d’autres lieux de culture en France, celui-ci est occupé, jour et nuit, depuis plus d’un mois. Le bar est devenu la cantine, des tables ont été disposées pour organiser des ateliers, et, à l’étage, se trouve une enfilade de matelas sur lesquels dorment les occupant·es. « Je ne dors pas ici tous les jours, m’explique Julie (1), comédienne et étudiante. Mais on organise un roulement, de sorte d’être toujours une vingtaine à l’intérieur. C’est le nombre qui est toléré par la direction. » Une dizaine de migrants, récemment délogés de leur habitation de fortune, sont également accueillis dans le théâtre.
Les principales exigences : l’abrogation de la réforme de l’assurance chômage et l’instauration d’une nouvelle année blanche pour les intermittent·es du spectacle. Mais d’autres revendications sont venues se greffer, comme le retrait de la loi Sécurité globale ou l’instauration du RSA-jeunes. Car la mobilisation ne se résume pas à un simple squat des locaux. « On essaye de profiter de ce moment pour informer et aussi s’informer », indique Aurélie, accessoiriste. Sur un mur, l’agenda de la semaine est bien rempli : des ateliers (« irrigation par la racine [plutôt que ruissellement] », « comprendre la loi “séparatisme” », « discriminations liées au genre »…), une conférence sur « l’intermittence, alternative au capitalisme », une séance de coiffure, des manifs, et des assemblées générales. En effet, on « réunionne » beaucoup pour préparer les prochaines actions, faire le bilan des précédentes, et parler de l’avenir.
L’organisation de ces discussions a d’ailleurs évolué avec le temps.
Des « gestes de sociocratie » ont également été mis en place pour mieux faire circuler la parole lors des assemblées.
Ce jour-là, justement, se tient une AG commune, réunissant les occupant·es de la Criée, celles et ceux du Merlan – un autre théâtre occupé à Marseille – et du Frac, le fonds régional d’art contemporain. Des AG de ce type sont programmées une fois par semaine. Parmi les points inscrits à l’ordre du jour, c’est le dernier qui se voit accorder le plus de temps. Il est sobrement intitulé « Réouverture ? ».
DANS LA PREPARATION DU COMBAT
Que faire si le gouvernement décide, comme il l’a prévu, de rouvrir les lieux de culture en mai ? Se réjouir et sauter sur l’occasion pour pouvoir, enfin, retravailler ? La plupart des occupant·es estime qu’il ne faut pas. « Aujourd’hui, nous sommes en occupation tolérée et donc pour moi, ce n’est pas une occupation, estime une participante. Une occupation, on met des chaînes aux portes, et on empêche les gens d’entrer. » Pour elle, l’action d’occupation débutera donc réellement lorsque le gouvernement rouvrira les théâtres. Une autre prend la parole : « Je vais peut-être me faire huer, mais moi, je ne suivrai plus. Clairement, on a besoin de travailler. On devrait changer de cible, aller occuper le ministère du travail ou le Medef. Là, on est nos propres cibles. »
Elle n’est pas huée. Mais son opinion est loin de faire l’unanimité. « Il ne faut pas perdre notre objectif de vue : l’abrogation de la réforme chômage et l’année blanche. Si on lâche au moment de la réouverture, on va reprendre comme avant, avec encore plus de précarité. » Un autre abonde : « On ne doit pas oublier que nous sommes là pour défendre les plus précaires, comme les saisonniers. Or, on sait déjà qu’avec l’annulation des festivals et d’autres événements, l’entonnoir de l’emploi va être de plus en plus serré. » « Pour moi, ajoute encore une autre, on est plus dans la préparation du combat que véritablement dans le combat, qui commencera quand ils voudront rouvrir. On a une chance, c’est qu’il nous reste au moins deux semaines pour créer une émulation. »
L’option de ne pas redémarrer avant d’avoir obtenu gain de cause remporte ici le plus d’adhésions. Mais ailleurs ? C’est toute la difficulté, soulevée par une occupante :
Comment rassembler plus largement le monde du spectacle, les précaires, et au-delà ? Diverses actions sont déjà menées, chaque semaine, pour faire connaître la situation et inviter le plus de monde possible à les rejoindre. Mais apparemment, ça ne suffit pas. Le programme de la semaine suivante sera donc consacré à la « visibilisation » du mouvement.
Nicolas Bérard
1 – Le prénom a été changé