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Promue par les grandes associations du handicap et par la secrétaire d’État « chargée » des personnes handicapées, l’assistance sexuelle est un euphémisme pour parler de prostitution réservée aux handicapés. Cet assistanat pose la question de l’image de la sexualité ainsi véhiculée et du regard que les valides portent sur les handicapés.
Prostituée pour les uns, travailleuse du sexe pour les autres, assistante sexuelle pour lui : « J’ai gagné en confiance en moi. C’est pas encore concluant en termes de rencontres, mais j’ai bon espoir. », témoigne Guillaume, 23 ans, tout sourire. Sa mère est impressionnée par le changement du jeune homme, handicapé moteur : « Il est bien mieux dans sa peau. Il a pris de l’assurance dans sa façon de parler, de se déplacer. Il est moins craintif dans sa relation aux autres. »
Ce témoignage recueilli par France 3 (Assistance sexuelle : le plaidoyer d’un jeune handicapé à Montpellier, France 3 Occitanie, novembre 2020.) s’ajoute aux nombreux témoignages présentés par les grands médias sur l’assistance sexuelle.
Depuis sa naissance, Guillaume Bourdiaux souffre d'une infirmité motrice. Fin 2019, ce jeune homme aujourd'hui âgé de 23 ans a commencé à écrire sur sa vie sexuelle.En écrivant son autobiographie, ce jeune homme handicapé milite en faveur d'une légalisation de l’assistanat sexuel en France.
En question, la déclaration de la secrétaire d’État « chargée » des personnes handicapées, Sophie Cluzel, qui, en février 2020, relançait le débat sur l’assistance sexuelle en se disant « très favorable » à la reconnaissance de la pratique. Elle relayait ainsi la position d’organisations ayant du poids, telles que l’Association des paralysés de France (APF) et l’Association française contre les myopathies (AFM Téléthon).

Julia Tabath et l’assistance sexuelle, Vox Pop – Arte, avril 2019.
Précisons que l’assistant sexuel peut aussi être pénétré par la personne en situation de handicap.
« La sexualité est une liberté, pas un droit »
Aujourd’hui, l’assistance sexuelle est interdite, car elle implique la prostitution : « Il n’est pas possible de faire de l’aide sexuelle une situation professionnelle comme les autres en raison du principe de non-utilisation marchande du corps humain », avait déjà souligné en 2012 le Conseil consultatif national d’éthique.
« Est-ce que vous imaginez que j’ai envie d’ouvrir un réseau de prostitution ? », ironisa Sophie Cluzel au micro d’Europe 1 pour défendre sa position. Ces assistants de vie sexuelle existent déjà en Belgique, aux Pays-Bas et en Suisse. Allons voir comment ils ont été formés. Cela nous fera faire un bond colossal dans la bien-traitance des personnes et le recueil de leur désir. » (Sophie Cluzel « favorable à l’accompagnement de la vie sexuelle des handicapés », Europe 1, février 2020.)
Problème : les trois pays cités reconnaissent un droit à la prostitution, ce qui n’est pas le cas de la France.
Pierre Brasseur, sociologue, analyse cette référence de la secrétaire d’État à la formation des aidants sexuels : étant donné que la prostitution n’est pas reconnue en France, « tout l’enjeu pour les promoteurs de l’assistance sexuelle a donc été un travail politique de différenciation de cette activité d’avec la prostitution » . (Pierre Brasseur, Pauline Detuncq. L’assistance sexuelle: qu’est-ce-à-dire? Quels enjeux?. VST – Vie sociale et traitements, ERES, 2014.)
Ainsi, ses partisans, secrétaire d’État en tête, la présentent aujourd’hui comme un dispositif quasi médical, au service de la découverte du corps, réservé à des bénéficiaires qui, de part leur handicap, ne pourraient accéder par d’autre moyen au plaisir charnel, et assisté par des personnes formées à ces publics handicapés.
La sexualité est une liberté, poursuit le jeune homme. On peut donc réfléchir à des mesures qui aideraient les handicapés à accéder à cette liberté : des sex toys adaptés, ou encore de l’aide humaine pour placer des couples handicapés qui en ont besoin, du fait de leur infirmité. Mais il ne faut pas tout confondre. Placer un couple n’est pas un acte sexuel, comme l’est une masturbation par exemple. La sexualité est une liberté, mais ce n’est pas un droit, car cela impliquerait le droit à l’accès au corps de l’autre et la négation de la nécessaire réciprocité du désir.
Un point de vue « validiste » ?
Plus Lény Marques enchaîne les arguments contre l’assistance sexuelle, plus on se dit que les questions posées par cette pratique dépassent le cadre de « la sexualité des handicapés », à commencer par celle de la place de la prostitution dans la société, et cette notion liée de « droit à la sexualité ».
Par ailleurs, l’assistance sexuelle véhicule une image très « normée » de la sexualité, présentée comme nécessaire à l’épanouissement, pour laquelle la virginité serait honteuse, la sexualité se résumant à une pulsion nécessaire et mécanique coupée de tout affect. « C’est très libéral comme vision du sexe, remarque Lény Marques. Et ce n’est pas ce que demandent la plupart des handicapés. Les enquêtes montrent qu’ils veulent avant tout pouvoir accéder comme tout le monde à une vie affective et sentimentale, ce qui est très compliqué pour eux du fait des difficultés physiques d’accès aux lieux de rencontres et de sociabilité. » Difficultés d’accès aux bars, aux amphis… à l’emploi : là où l’on fait connaissance, où l’on se fait parfois des amis, parfois des « rencontres ». Cette difficulté devient impossibilité ou dépendance aux soignants, quand la personne est placée en institution.
Là est la véritable lutte pour les handicapés aujourd’hui, affirme Lény Marques : « Ce sont des lieux de privation de liberté qui concernent environ 200 000 adultes, totalement dépendants en termes d’horaires, de sorties, de relations avec l’extérieur. La France est parmi les pays européens les plus en retard en matière de désinstitutionnalisation. Il est là le problème. » Et de s’interroger sur les raisons pour lesquelles de grandes associations gestionnaires d’institutions soutiennent la reconnaissance de l’assistanat sexuel : « La seule solution qu’ils ont trouvée à proposer à leurs résidents face à cette misère sociale, c’est de se faire tripoter ? C’est scandaleux, humiliant. », s’énerve-t-il.
Lény n’a pas l’usage de ses jambes. « En soi, le fait d’être assis n’est pas très handicapant. C’est le regard que porte la société sur moi qui l’est davantage. Et vu que je suis handicapé, je devrais avoir une sexualité de handicapé, elle aussi différente des valides, avec des mesures adaptées ? Et que signifie « une formation » pour avoir des relations sexuelles avec un handicapé ? Une fois de plus, il s’agirait d’une réponse stigmatisante qui ne ferait qu’aggraver notre exclusion. »
Fabien Ginisty