Un opposant au Linky pense avoir trouvé le point faible du dispositif : les concentrateurs, qui rendent les compteurs « communicants ». Il en a « fauché » une petite centaine avant de se faire pincer. Aujourd’hui, il assume pleinement son geste et revendique une « désobéissance légitime ».
On a connu les faucheurs volontaires qui allaient couper les plants d’OGM, puis les faucheurs de portraits qui saisissent les photos du président de la République dans les mairies, et même les faucheurs de chaises, qui piquent les sièges dans les banques pour dénoncer l’évasion fiscale. On a découvert un spécimen d’un genre nouveau : le faucheur de concentrateurs Linky.
« Dans tout système, il y a un point faible. Il s’agissait donc de trouver celui du système Linky, et j’ai compris que c’était le concentrateur », explique Christophe M., notre spécimen. Le concentrateur recueille les informations d’une grappe de compteurs communicants, une cinquantaine en moyenne, et les envoie jusqu’au centre de données, ou data center, d’Enedis. « C’est un peu le chef d’orchestre. Si vous le retirez, l’orchestre s’arrête de jouer », résume le faucheur.
Le retrait de cette pièce du puzzle Linky présente plusieurs avantages. D’abord, parce que c’est elle qui fait courir sur le réseau électrique le CPL (courant porteur en ligne), cette fameuse « électricité sale » et nocive. Sans concentrateur, plus de CPL. Ensuite, le fait d’enlever ce dispositif ne gêne aucunement l’usager·e :
Faucher un concentrateur ne provoque même pas une coupure de courant. Rien. Le compteur communicant continue même de compter, mais avec le bec cloué : il ne peut plus transmettre ses informations et redevient compteur simple, « à l’ancienne ».
C’est en 2016, alors que les compteurs Linky sont sur le point d’être déployés dans sa commune d’Ille-et-Vilaine, que Christophe s’intéresse à ce compteur. Sa principale critique porte sur les effets sanitaires. Électrohypersensible, il s’est énormément documenté sur les effets des champs électromagnétiques, et ne veut pas subir ceux émis par le CPL du dispositif Linky. « Ma santé, elle n’est pas négociable ! », assène-t-il.
Les voies légales, ça n’a pas marché
Il monte un collectif, organise une réunion publique, alerte la municipalité. Mais, comme partout, Enedis entend passer en force. Lui et ses amis multiplient les recours. Rien à faire. Seules les personnes reconnues EHS obtiennent parfois le retrait de leur compteur communicant, au prix de multiples démarches. « On a suivi gentiment les voies légales, et ça ne marche pas. Alors il arrive un moment où on se demande ce qu’on peut faire. »
Il trouve, finalement, cette solution du fauchage de concentrateurs.
Après un premier fauchage début 2020, « pour me faire la main », vient la période du confinement. Sitôt celle-ci terminée, il se remet au boulot, « de manière beaucoup plus déterminée. Je connaissais des personnes électrohypersensibles que le CPL faisait souffrir. J’allais vers chez elles pour démonter les concentrateurs, et ainsi décontaminer leur environnement ». Christophe a quatre-vingt-douze concentrateurs à son « tableau de décontamination et d’assainissement ».
« Je mets même pas deux minutes pour en retirer un. Mon record, c’est une minute zéro cinq ! » Il aurait sans doute pu en démonter encore plus, s’il n’avait pas fini par se faire pincer. « J’agissais en plein jour, et une dame en a profité pour me filmer et envoyer la vidéo à Enedis. » L’entreprise, qui avait constaté les nombreux vols de concentrateurs en Ille-et-Vilaine, dans les Côtes d’Armor et le Morbihan, porte plainte. Grâce à la vidéosurveillance et aux données de son téléphone portable, la gendarmerie parvient à l’identifier, frappe à sa porte et le place en garde à vue. Il reconnaît immédiatement l’intégralité des faits qui lui sont reprochés. Il les revendique, même. « J’assume pleinement ce que j’ai fait. Si c’était à refaire, je referais exactement la même chose. J’en dégommerais peut-être un peu plus, mais en dehors de ça, je referais pareil. »
En octobre, au cours d’une « comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité » – un genre de « plaidé coupable » à la française – un procureur lui propose une peine de 60 heures de travaux d’intérêt général et 18 mois de prison avec sursis. Enedis, de son côté, lui réclame 47 000 euros.
Son procès, qui devait avoir lieu le 15 avril, a été repoussé au 7 janvier 2022. En attendant, il se tient à carreau. Mais d’autres que lui connaissent désormais le point faible du dispositif Linky…
Nicolas Bérard