Chaque année, lors de la journée internationale du droit des femmes au Kazakhstan, elles pèsent un peu plus lourd dans la rue. Les femmes protestent d’une même voix contre un modèle autoritaire inspiré de celui de Poutine.
« Nous ne sommes pas ici pour mener une opération spéciale, nous tendons la main à tous en signe de solidarité dans ces temps difficiles. » Sur la place de l’Académie des Sciences à Almaty, plus grande ville du Kazakhstan, elles sont plus d’un millier à acquiescer, bannières levées, aux mots de Zhanar Sekerbayeva, forcément tournés vers l’Ukraine. Une foule composée de très jeunes femmes est venue participer au rassemblement du 8 mars à l’appel d’organisations féministes. Entourées des hommes en noir circonspects des services de sécurité, elles brandissent des slogans cinglants.
À l’origine, la dévaluation
Zhanar est une « femaktivistka », cofondatrice de Feminita, qui organise chaque année un rassemblement le 8 mars. Le thème du jour est la participation des femmes en politique. « Depuis les années 90, nous ne passons pas la barre des 30 % de femmes dans les affaires de l’État. Je ne vois nulle part une femme qui pourrait me représenter, porter mes espoirs et mes revendications », dit-elle. Avec Gulzada, l’autre fondatrice du mouvement, elles ont compris qu’elles devaient faire quelque chose lorsqu’en 2014, le gouvernement a décidé une brusque dévaluation de la monnaie qui a fait s’effondrer le pouvoir d’achat. « Nous sommes sorties dans la rue de manière improvisée, avec seulement un sentiment d’injustice », raconte Gulzada Serzhan. De cette première action face à la situation économique, le déclic s’était produit. Elles fondent Feminita en 2016, afin d’agir pour les droits des femmes et des personnes LGBTQ+.
Même appartenance post-soviétique
Cette année, la guerre en Ukraine s’invite dans les revendications.
Le féminisme au Kazakhstan, depuis son irruption dans l’espace public, n’a jamais cessé d’être politique. Il constitue, pour une nouvelle génération de femmes, un chemin naturel qui va de la confrontation au sexisme ordinaire à des exigences de liberté et d’égalité.
C’est armée d’une pancarte jaune et d’une autre bleue (aux couleurs de l’Ukraine), l’une exigeant plus de femmes en politique, l’autre montrant Poutine et Loukachenko (le président biélorusse) sous la phrase « les hommes me tapent sur les nerfs ces derniers temps », qu’elle s’est rendue au rassemblement avec ses collègues.
Le printemps pour dégeler les esprits
Début janvier, le Kazakhstan a vécu un soulèvement sans précédent. Parties de l’augmentation des prix du gaz, des manifestations ouvrières et pro-démocratiques ont submergé le pays. En une journée à peine, des manœuvres au sein de l’élite ont changé la nature des événements. Des bandes armées associées à la faction de l’ancien président Nazarbayev ont incendié l’hôtel de ville d’Almaty et pris d’assaut des réserves d’armes. Après une semaine de troubles et l’appel militaire à la Russie à travers l’Organisation du traité de sécurité collective, le pouvoir autoritaire du président Tokayev sortait renforcé, tandis que les manifestants étaient qualifiés de terroristes. La Russie constitue pour le pouvoir un allié dans sa lutte contre toute velléité de changement, ainsi qu’un modèle d’autoritarisme.
Le même héritage totalitaire colonise les esprits, au Kazakhstan comme en Russie, mais c’est un blocage qui tend à s’effacer.
Le « printemps » kazakh, toujours différé, fait tout de même éclore une génération de femmes prêtes à s’extraire des formes de domination, quelles qu’elles soient.
Matthieu Baudey









