Pour ce premier mai 2020, quelques rassemblements se sont tenus malgré tout. Exemple dans un quartier de Lyon où les habitants étaient invités à un « rassemblement distancié en mouvement continu ».
Dans ces cas-là, on ne sait pas lequel des deux on craint le plus : le Covid ou le policier. On s’y rend quand même. Il y a apparemment quelque chose de plus fort.
Rendez-vous a été lancé via les réseaux sociaux. Le rassemblement est prévu à 11h et doit durer 45 mn, de manière à respecter la date de péremption de l’auto-justificatif. Sur le chemin, on voit des banderoles qui cassent la monotonie de la ville vide et grise.
Le point de rencontre est situé devant l’hôpital Saint Joseph Saint Luc, Lyon 7, ce 1er mai, avec nos « masques, gestes barrières, nos pancartes et nos voix pour un rassemblement distancié en mouvement continu », indique l’appel. La consigne de la distanciation physique est respectée par la plupart, ce qui donne une drôle d’allure au cortège d’une cinquantaine de personnes qui s’étire dans la rue Chevreul, pour rejoindre l’avenue Jean Jaurès. « Du fric, du fric, pour nos services publics ! » Devant, quelques militants ont sorti les banderoles et entonnent des slogans actualisés sous leurs masques. Les premières voitures de police font leur apparition, semblent prendre la température de cet étonnant « rassemblement distancié ». En queue de cortège, une cornemuse entonne l’Internationale sur le trottoir en remontant le boulevard. À sa hauteur, un gyrophare bleu roule à son allure.
Sourires et pleurs
Les gens ont le sourire qui dépasse. On se salue. Il y a du plaisir à reconnaître des visages militants, des amis parfois. Du plaisir à braver ensemble la crainte, à partager ce « quelque chose » de plus fort. Au balcon, les gens aussi ont le sourire, applaudissent la cornemuse. Certains exhibent leurs banderoles, donnent un décor à la marche.
Mais l’ombre demeure, elle aussi au balcon : « Rentrez-chez vous ! C’est à cause de vous qu’on est confiné ! », crie une femme. Un manifestant tente bien de répondre « services publics » et « importance de la fête du travail », mais il y a un fossé trop grand entre le sol et le balcon, trop de colère qui sort d’un coup : « J’espère que vous le choperez tous, ce Covid, et que vous y resterez ! » et de refermer la fenêtre. « OuuuuuOuuuu », répond la foule bonhomme.
Trois minutes après, à un carrefour, le cortège s’arrête et tend l’oreille à un concert de 3e étage.
Des voisins sortent les casseroles. Ce n’est pas le brouhaha habituel d’un premier mai, il y a même parfois des instants de calme sans slogan ni musique ni casserole ni haut-parleur ni éclats de voix ni pétards ni fumigènes, mais la manif est bien là, et semble faire sens autant aux participants qu’aux gens aux fenêtres. Concert applaudi, on reprend la ballade le long du boulevard, mais l’heure tourne. Le cortège s’étiole, certains font demi-tour et reprennent le chemin du confinement. Ceux qui habitent à proximité ont encore cinq minutes de profit. Le temps de remonter, jusqu’au bout, ce boulevard. D’autres ont bien vu le barrage au carrefour du cours Gambetta, à 200 mètres. Ils font aussi demi-tour. 100 mètres, puis 50 mètres. Le geste-barrière avec les forces de l’ordre est encore largement maintenu. Pas d’insultes sinon des slogans habituels, encore moins de jet de projectiles, de tag ou de casse d’abribus publicitaire. Rien, sinon des gens qui chantent sous leurs masques.
Le cortège est encore en mouvement quand les policiers surgissent par derrière depuis les rues adjacentes, provoquant un effet de surprise certain. Pour « nasser » les manifestants et procéder au contrôle des justificatifs d’une trentaine de personnes ? Logiquement, certains parmi la foule paniquent et courent, d’autres refusent le contrôle et courent aussi. S’ensuit une cohue.
Pas de « bonjour » protocolaire, pas de distanciation physique non plus. Les policiers saisissent, isolent.
On se dit qu’il faut, encore moins que d’habitude, porter sa main au visage à cause de l’aérosol lacrymogène employé à deux pas. En deux minutes, il n’y a plus d’événement, seulement une dizaine de personnes isolées et encerclées par deux fois plus de policiers. Les plus actifs d’entre-eux ne portent pas de masque.
Deux autres rassemblements se sont tenus ce 1er mai dans l’agglomération lyonnaise. L’un quartier Croix-rousse, l’autre à Villeurbanne, réunissant également une cinquantaine de personnes chacun. Pas de débordement policier dans ces deux cas.
Sur le chemin du retour…
Fabien Ginisty