Julia (1) est éducatrice spécialisée dans la protection de l’enfance. Au sein de son service, elle suit des familles pour lesquelles il y a des risques de violence intrafamiliale. Depuis le confinement, les visites à domicile sont « limitées au maximum », ce qui complique énormément le travail. « On ne peut plus évaluer la notion de danger auquel les enfants sont confrontés. On met des petits mots dans les boîtes aux lettres, on appelle pour avoir des nouvelles, mais certaines familles ne répondent pas et s’isolent davantage. » Dans les familles pour lesquelles il y a un risque avéré de violence sur les enfants, la rencontre est impérative. « On sort l’enfant du domicile, on s’assoit dans la rue sur un banc. On porte des gants et un masque. On parle avec l’enfant et on essaie de savoir comment il va. » Pour les cas les plus à risques et pour les petits avec lesquels il n’est pas possible d’échanger à l’extérieur du logement, des équipes de deux personnes se relaient pour effectuer une visite hebdomadaire à domicile. Le lien avec les femmes victimes de violences est maintenu dans la mesure des possibilités.
« On les encourage à garder le contact avec l’extérieur, à appeler le 3919 et à porter plainte. Les conjoints violents suppriment les téléphones. On essaie d’être présent·es et de contenir cette violence. Ce n’est pas facile. On est très inquiet·es. »
Le confinement imposé depuis le 17 mars sur tout le territoire a provoqué une hausse des violences conjugales. « Nous observons qu’il y a + 32 % de signalements de violences conjugales en zone gendarmerie et +36 % dans la zone de la préfecture de police de Paris, en une semaine », avait déclaré Marlène Schiappa, secrétaire d’État à l’Égalité femmes-hommes, le 29 mars sur Europe 1. La ministre avait reconnu que le 3919 recevait moins d’appels depuis le début du confinement, constatant « qu’il est difficile de téléphoner quand vous êtes enfermée avec l’agresseur ». « Il ne m’avait jamais tapée, témoignait une femme dans Marianne le 16 avril. Souvent quand il boit, il me fait des scènes mais là, il avait plus bu que d’habitude. » Les coups de poings se sont abattus, sur son visage d’abord, puis ses yeux, puis ses bras.
Les états dépressifs sont en augmentation au sein de la population depuis le début du confinement. L’étude Coconel montre que 74 % des adultes interrogés souffrent de troubles du sommeil. Pour la moitié d’entre eux, ces troubles ont commencé avec le début du confinement (2). La détresse et l’anxiété touchent davantage les femmes que les hommes et de façon inégalitaire suivant le milieu socio-économique : 55 % des enquêté·es qui ont les plus bas revenus présentent des signes de détresse psychologique, contre 22 % pour les plus aisé·es.
Dans ce contexte, il est temps que les pouvoirs publics, dans la perspective de l’après confinement, se préoccupent des conditions d’accueil de ces populations fragilisées, dans les structures de soin qui font appel aux psychologues, psychiatres, psychanalystes.
« Après cette période, on va récupérer des gens encore plus abîmés, plus en souffrance, sans parler des traumatismes que ça va engendrer. On a des personnes qui, du fait de leur état psychologique, ont besoin d’aller dehors, de déambuler. Cet état d’enfermement va les aliéner. À la sortie, il faudra être encore plus présents pour écouter leur détresse et leur permettre de mettre des mots. Les personnes à peu près bien construites vivent bien le confinement, car elles peuvent faire appel à leur créativité. Mais d’autres, privées de relations sociales, sont assaillies par leurs angoisses… Le confinement exacerbe les inégalités. »
Nicole Gellot
1 – Prénom d’emprunt.
2 – Menée par l’Ifop sur un millier de Français, entre le 31 mars et le 4 avril. En comparaison, hors période de confinement entre 43 % et 49 % des Français déclaraient des troubles du sommeil.
Au sommaire du numéro 151
- Edito le confinement exacerbe les inégalités /
- Framasoft, premier de cordée de l’amap nation
- Livre : être non violent à gaza
- Femmes en Bosnie, une coopérative efface les traces de la guerre / Portrait Gaspard Forest veille sur les rivières
- Reportage Un club de boules où il fait bon vivre
- Le guide des sons animaux
- Actu : La privatisation d’ADP mise au placard
- Résistons à la Covid nation / A l’école du confinement / Réquisition (citoyenne) d’un Mc Do à Marseille / Les pauvres au turbin, les richesses confinées / Covid-19 : en route pour la 5G ?
- Économistes atterrés : Sortir d’une crise sanitaire
- L’atelier Opération zéro déchet ! / Au jardin / Couture & Compagnie / Le coin naturopathie
- Fiches pratiques : des bougies en cire / Du bois pour aménager son jardin
Dossier 4 pages : Le pouvoir du son
Le confinement, en ralentissant voire stoppant les activités humaines, l’a mis en évidence : le son est un élément essentiel de nos vies pour le meilleur et pour le pire. Quelle vision du monde ont les personnes sourdes ? Peut-on reconstituer l’ambiance sonore du passé ? Qu’entend-on au fond des océans ? Qu’est-ce qu’un paysage sonore et comment l’écouter, le composer ? Ouvrez l’oreille, et la bonne !