Une équipe d’historiens a reconstitué le paysage sonore d’un quartier de Paris au XVIIIe siècle. Le résultat formidable de ce travail est disponible sur internet. On y découvre l’Histoire, fait inédit, par nos sens.
Comment c’était, le bruit de la ville, avant les voitures et les frigidaires ? Grâce au travail de Mylène Pardoen, on en a aujourd’hui une idée plutôt précise. Musicologue de formation, cette chercheuse au CNRS a inventé l’archéologie des paysages sonores. Son travail est celui d’une vie : recréer, dans les moindres détails, l’ambiance sonore des rues de Paris au XVIIIe siècle. Le résultat n’est pas à lire, mais à écouter. Le projet Bretez – du nom d’un architecte – invite tout un chacun à déambuler dans le quartier du Châtelet en fin de matinée, via une simulation audio-vidéo d’une dizaine de minutes. Pour une fois, c’est le son et non l’image qui capte le plus l’attention. Le résultat, publié sur internet, est formidable (1).
« Ce n’est qu’une simulation, mais on essaie de se rapprocher le plus possible de la réalité historique », précise la chercheuse. À écouter Mylène Pardoen, jointe par téléphone, on s’aperçoit du travail considérable, engagé depuis dix ans et affiné de jour en jour, que la reconstitution nécessite. Elle et son équipe « font parler » tout type d’archives écrites. « Pour reconstituer l’acoustique des rues, il nous a fallu connaître leur largeur, les matériaux utilisés pour la construction des maisons, la hauteur du bâti, la forme en “u” ou en “v” des façades… » L’équipe de chercheurs trouve ainsi du son dans les devis de travaux, dans les carnets des cochers (qui indiquent, pour chaque rue, combien de carrosses peuvent se croiser, donnant ainsi une idée de la largeur de la rue), dans tel document écrit indiquant la présence de martinets sous tel pont… « Et il faut tenir compte du relief ! Ce quartier de Paris n’était pas du tout plat comme aujourd’hui ! »
Les diverses nappes sonores
Une fois les sons identifiés, Mylène Pardoen part micro en main enregistrer le cri des martinets, le bruit d’un carrosse sur le pavé, le son du marteau qui taille la pierre… Le travail le plus « audible » est celui qui concerne les activités humaines, de la lavandière à l’imprimeur, en passant par le joaillier. L’ambiance sonore de soixante-dix activités a ainsi été reconstituée, et localisée précisément selon les indices fournis par les documents écrits. Nappes sonores des actions humaines, nappes des bruits de la faune et de la nature, nappes des bruits ambiants… Les différentes couches sont ensuite superposées et associées à un lieu.
Ainsi, au cours de la balade, on entend tour à tour les caquètements du marché aux volailles, le bourdonnement des mouches autour des étals du marché aux poissons, le métier à tisser d’une bonneterie, les grattoirs des tanneurs de la rue de la Pelleterie… On est d’emblée séduit par la variété des sons : bruits animaux, bruits humains, aucun ne couvrant l’autre, à l’exception peut-être du bruit provoqué par les voitures hippomobiles… L’auditeur a tout de même un léger regret : ne pas comprendre les conversations des Parisiens de l’époque ! « On pourrait reconstituer des conversations, car nous avons des traces écrites des patois utilisés à l’époque. Par contre, on ne peut pas reconstituer le phrasé, la façon dont étaient portées les voix, façon que l’on sait très différente et plus variée qu’aujourd’hui ». Quoi qu’il en soit, écouter l’Histoire ouvre bien des portes à l’imagination et à la recherche : « En restituant une sensorialité, on fait passer ce que les mots sont trop pauvres à exprimer », explique la chercheuse, qui s’intéresse aussi à l’histoire des paysages olfactifs, ou encore à l’évolution de notre rapport au toucher.
FG
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1 – https://www.youtube.com/watch?v=0UOGXWYL8ug
Photo : Mylen Pardoen cherche dans le présent les sons du passé et reconstitue les ambiances. © Christian Dury, CNRS, Maison des Sciences de l’Homme Lyon St-Etienne
Au sommaire du numéro 151
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- Framasoft, premier de cordée de l’amap nation
- Livre : être non violent à gaza
- Femmes en Bosnie, une coopérative efface les traces de la guerre / Portrait Gaspard Forest veille sur les rivières
- Reportage Un club de boules où il fait bon vivre
- Le guide des sons animaux
- Actu : La privatisation d’ADP mise au placard
- Résistons à la Covid nation / A l’école du confinement / Réquisition (citoyenne) d’un Mc Do à Marseille / Les pauvres au turbin, les richesses confinées / Covid-19 : en route pour la 5G ?
- Économistes atterrés : Sortir d’une crise sanitaire
- L’atelier Opération zéro déchet ! / Au jardin / Couture & Compagnie / Le coin naturopathie
- Fiches pratiques : des bougies en cire / Du bois pour aménager son jardin
Dossier 4 pages : Le pouvoir du son
Le confinement, en ralentissant voire stoppant les activités humaines, l’a mis en évidence : le son est un élément essentiel de nos vies pour le meilleur et pour le pire. Quelle vision du monde ont les personnes sourdes ? Peut-on reconstituer l’ambiance sonore du passé ? Qu’entend-on au fond des océans ? Qu’est-ce qu’un paysage sonore et comment l’écouter, le composer ? Ouvrez l’oreille, et la bonne !