Éric Mie a la rime rurale et le coup de crayon engagé. Dans son petit village de Lorraine, il griffonne la vie avec son œil libertaire, sombre et antibourgeois.
C’est « un drôle de type qui traverse la brume », comme dirait l’ami Léo Ferré. En hiver, on peut le croiser dans le gris paysage à regarder le givre sur les barbelés. À Haigneville, son tout petit village dans le Bayonnais en Meurthe-et-Moselle, il se trimballe seul avec sa tignasse hirsute et son carnet de poèmes.
Éric Mie écrit avec ses pieds. Au moins une heure par jour, ce « riverain de terrain » cherche en marchant dans sa campagne, la rime qui va bien. C’est un gars du coin. « Je veux parler de la ruralité d’aujourd’hui, avec aussi ses côtés sombres. Quand j’étais gamin, j’ai été marqué par un paysan qui s’est pendu. La ruralité, c’est en moi. Mais pas n’importe laquelle, celle de l’est de la France. » Celle des beignets râpés, des jonquilles et du déterminant devant chaque prénom. À presque 50 ans, l’Éric ne veut pas de l’étiquette du poète. Il se considère plutôt comme un chansonnier. C’est moins prétentieux. Et ça ne l’empêche pas de fendre les mots comme du petit bois.
Éric Mie a sorti plusieurs albums de chanson française. Son prochain disque, Rural, sortira en février prochain. « J’ai toujours aimé les poètes révoltés. C’est parce que je suis un enfant de l’éducation populaire. Je me suis développé dans les foyers ruraux. » C’est dans un club théâtre qu’on lui file des vinyles de Brassens, Ferré, Henri Tachan ou Anne Sylvestre…
« La poésie ? Sans ça, je tuerais tout le monde ! »
Issu d’un milieu prolétaire, Éric Mie a eu une enfance un peu difficile. « Je devais être dyslexique. Mais à cette époque, on m’a dit que j’étais un fainéant, un crétin. Un cancre. Je faisais 44 fautes dans chaque mot. Alors, on m’a parqué dans une classe CPPN (1) en me faisant croire que c’était mieux si je pouvais aller direct au boulot. »
Au lieu de l’usine, l’Éric dessine. Un prof de dessin (un certain monsieur Canson, ça ne s’invente pas) l’aide pour le concours de l’école de l’imagerie d’Épinal. Il est reçu mais ne peut pas être accepté, car il n’a pas le bac. « J’étais tellement en colère que je crois que c’est ce soir-là que j’ai écrit ma première chanson. J’avais 16 ans. »
Sur les cathos, les médias, les chasseurs, les PDG, les députés… Éric Mie tape dans la carotide de tout ce qui passe, avec des mélodies pas mal fringantes. La société, il l’opère à la tronçonneuse. « La poésie ? Sans ça, je tuerais tout le monde ! Ou je me tirerais une balle dans la tête. C’est Anne Sylvestre qui disait qu’elle écrivait pour ne pas mourir. »
Le vers dans la Pomme
Un soir mélancolique de novembre, Éric Mie se remet à ses crobards. Il crée un personnage féminin, Pomme, anar et rondouillette.
Après les attentats de Charlie, le chansonnier passionné de BD continue de faire vivre son personnage de papier : « Ça a été un coup, alors je me suis raccroché à Pomme. On commençait déjà à sombrer dans ce monde un peu gris, qu’on connaît bien maintenant. »
Après l’école, on l’envoie faire un CAP de tailleur de pierre, puis turbiner à l’usine d’électroménager Seb. « Y a un côté absurde dans le travail, glisse-t-il. Je me rappelle d’un mec dans les embouteillages qui râle dans sa bagnole car elle pue, elle pollue, mais il dit qu’il en a besoin pour aller au travail. Et au travail, il déteste son boulot aliénant, mais il en a besoin pour payer sa bagnole. Si on travaille moins, on a plus le temps de la poésie. »
Clément Villaume
1 – Jusqu’au début des années 90, les classes pré-professionnelle de niveau (CPPN) accueillaient les élèves de 4e et de 3e en échec scolaire.