Depuis quelques années, les panneaux photovoltaïques pullulent dans les champs. La condition à ces installations ? Que quelques brebis continuent de pâturer dessous… Le monde paysan étant encore dubitatif, le service marketing de l’agro-industrie sort de son chapeau « l’agrivoltaisme », pour faire croire aux bienfaits de l’association entre animaux, cultures et panneaux métalliques. Et puisque ce n’est jamais assez, les espaces naturels et forestiers sont aussi concernés.
À l’avenir les « énergiculteurs » remplaceront-ils les paysans et paysannes ? La prochaine loi dite d’accélération des énergies renouvelables, qui doit être votée le 10 janvier, « va permettre d’aller plus vite sur l’agrivoltaïsme », (1) nous explique le président Macron. Le déploiement des projets de production d’électricité relèverait de « la raison impérative d’intérêt public majeur », permettant de déroger à la protection d’espèces protégées et de « réduire le nombre de contentieux, qui sont sources de retards et difficultés pour les projets ». Les avis des autorités environnementales n’arriveraient qu’à la toute fin des enquêtes publiques, lesquelles seraient ainsi simplifiées à l’avantage des industriels.
Mais pourquoi cette nouvelle mode consistant à sacrifier des espaces agricoles ou forestiers ? Uniquement pour des raisons financières. Car si les industriels mettent en avant le coût élevé du photovoltaïque (PV) sur toitures, l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) explique pourtant que l’installation du photovoltaïque sur les toitures au lieu de le mettre au sol coûterait seulement 500 millions d’euros annuels, soit 2 % du coût annuel des énergies renouvelables. Considérant que « les surcoûts pour le système sont faibles » (2), elle préconise de privilégier les modèles en toiture « pour éviter d’occuper des sols agricoles et de nuire à l’image de cette énergie renouvelable » (3).
Cette agence démontre qu’en mobilisant les friches industrielles et les parkings, on pourrait produire 53 GW, et évalue que les toitures industrielles à elles seules permettraient d’installer 123 GW. Au total, de quoi faire turbiner 176 GW sans toucher aux surfaces agricoles. À l’inverse, si l’objectif de Macron d’installer 100GW de panneaux solaires se réalisait par une installation au sol, cela couvrirait 100 000 hectares de terre.
Pour les margoulins de l’agro-industrie, le monde agricole reste donc à convaincre. C’est ici que la notion d’agrivoltaïsme intervient, mettant en scène la « synergie » du PV avec l’agriculture. Ainsi, lors de l’instruction des permis de construire, des panneaux posés sur des ombrières ne sont plus considérés comme destinés à produire d’abord de l’électricité, mais constitueraient principalement un « espace abrité » pour l’activité agricole.
Créer des nuages ou mettre des panneaux ?
Cette classification permet aux promoteurs de ne pas soumettre leur projet à la DDT (Direction Départementale des Territoires) mais de le présenter directement auprès des mairies, bien moins armées pour instruire des permis de construire et s’opposer aux industriels.
Au Sénat, les lobbys de l’industrie semblent avoir sonné à la bonne porte. Des élu·es de l’UDI, dans une proposition de loi, assument sans ambages une vision où l’agriculteur devient un rouage de l’industrie de l’énergie. Les voilà donc en quête de justification agronomique : « Ces panneaux protègent les plantations des aléas climatiques et du réchauffement climatique, l’ombrage fourni par les panneaux permet d’éviter une évaporation de l’eau trop importante, ces installations contribuent à protéger les élevages s’inscrivant dans une dynamique du bien-être animal. » Les panneaux permettraient même une amélioration « de l’écosystème agricole, du bilan carbone ou du verdissement ou le retour de l’avifaune ». La magie du lobbying… C’est dit avec un tel aplomb, que l’on en oublierait que les arbres remplissent ce rôle !
Joint par téléphone, le directeur de l’Association française d’agroforesterie, Fabien Balaguer, remet les pendules à l’heure : « On essaye de nous faire croire que l’on n’a plus le temps de faire pousser des arbres, et donc on met des panneaux parce que l’on met de l’ombre plus vite. La grosse différence entre l’arbre et le panneau, concernant l’ombre, c’est qu’avec un arbre vous avez une ombre froide et humide et avec un panneau vous avez une ombre sèche et chaude, il suffit de se mettre sous un arbre et ensuite de se mettre sous un truc métallique et voir la différence. » Il dénonce « un cheval de Troie » avec des « industriels qui essayent de faire croire que cela va aider l’agriculteur ». Selon lui, « ce qu’il faut c’est de la photosynthèse et de la transpiration : ce qu’il manque aujourd’hui c’est des nuages, si on résume. C’est cela qui laisse penser qu’avec des arbres on peut avoir plus de résultats et surtout à plus long terme. On est dans une société qui a le don de la contradiction et qui essaye de faire des panneaux dans les champs et de l’agriculture sur les toits, y a peut être un truc à remettre en ordre ».
Opportuniste, le syndicat La Coordination rurale tente de justifier son ralliement aux velléités de l’agro-industrie : « Face au manque de rémunération des produits agricoles, l’agriculture française et les agriculteurs doivent savoir saisir toutes les opportunités qui se présentent, il est évident que des centrales photovoltaïques seront installées sur des terres agricoles. » Quant à la FNSEA, elle vient de signer avec l’Assemblée des chambres d’agriculture et EDF une « charte de bonnes pratiques ». La mise en place de « comités de suivi » ou la limitation de la durée des centrales à 35 ans sont au menu de ce simulacre qui déroule le tapis rouge aux industriels.
Défendre l’agro-industrie ou les paysans ?
Dans ce débat qui prend une ampleur nationale, la Confédération paysanne était jusqu’alors la seule organisation nationale à s‘exprimer contre les projets sur des terres agricoles, naturelles et forestières. Pour elle, « une motivation essentielle est la qualité de vie au travail, en plein air, dans un cadre beau, regarder le ciel et écouter le chant des oiseaux : nous défendons un rapport sensible au monde qui nous est primordial. Travailler sous des panneaux c’est dégrader notre qualité de vie au travail, mais aussi l’environnement et les paysages de tous pour le bénéfice de quelques propriétaires et promoteurs. Quelle que soit sa surface, un parc photovoltaïque sur des terres agricoles et naturelles, est une installation de nature industrielle. (…) Nous refusons l’industrialisation des campagnes » (4).
Dans son livre Reprendre la terre aux machines, l’Atelier Paysan explique que les paysans sont devenus après-guerre des ouvriers totalement dépendants de l’agro-industrie, bien que déguisés en « chefs d’exploitation ». Dans le cas présent, les rémunérations payées par les industriels sont la clé de voûte de l’arnaque agrivoltaïque : sans elles, aucun paysan n’accepterait de brader ainsi ses terres. Dans un contexte où les paysans sont endettés en moyenne de 200 000 euros, où les prix de vente des produits agricoles sont très faibles, les loyers offerts par les industriels, estimés entre 2 500 et 5 000 euros par hectare et par année, sont souvent vécus comme une issue de secours, alors qu’ils transforment des paysans en sous-traitants de l’industrie. La Conf’ assène cette évidence : « Notre métier n’est pas de produire de l’énergie. L’agriculture paysanne doit permettre à un maximum de paysan·nes répartis sur tout le territoire de vivre décemment de leur métier en produisant sur des exploitations à taille humaine une alimentation saine et de qualité. »
Entre 2009 et 2018, 3 300 hectares (soit 4 541 terrains de foot) ont été artificialisés en moyenne chaque année en Occitanie. Cette modification des terres est le facteur direct le plus important dans l’effondrement de la biodiversité. Et si la région est la première productrice en France avec 41 % de la puissance photovoltaïque installée, elle veut encore la multiplier par 12. C’est dans ce contexte que la Mrae (Mission régionale de l’autorité environnementale de l’Occitanie) explique qu’en 2021, sur 111 dossiers soumis à évaluation environnementale, 33 concernaient le photovoltaïque : « De nombreux projets, souvent avec des ampleurs très importantes, prennent place sur des secteurs à enjeux environnementaux. Ces projets relèvent plus d’une recherche d’opportunité foncière. »
Texte : Loïc Santiago / Illustration : Marco
1- Discours lors de la Fête Terre de Jim, dans le Loiret, 09/09/22.
2- Ademe, « Un mix électrique 100% renouvelable ? », 2015.
3- Les Échos, 25/06/18.
4- Motion du 15/11/21.







