Étienne Decle fait partie de l’association d’éducation populaire Soupes et bobines, et du Collectif citoyen pour un autre photovoltaïque dans les Alpes du Sud. Il s’est plongé dans les rapports des aménageurs, qui considèrent son lieu de vie, le Buëch, comme un « territoire de montagne enclavé dont la population est exposée aux fragilités sociales ». Bref, un lieu idéal pour installer des centrales solaires… quitte à pousser les gens à aller vivre ailleurs ?
Il y a des documents au titre repoussoir, choisi pourrait-on croire afin d’être certain qu’ils ne seront pas lus. Pourtant, le Sradett (1), en dépit de sa consonance rugueuse comme un raclement de gorge, mérite que l’on s’y intéresse. Récemment sorti des presses du conseil régional Paca, on y trouve, entre utopie et dystopie, ce que l’imaginaire institutionnel fait de mieux pour nous inviter au voyage dans notre région, jusqu’en 2050.
En traversant les quelques 700 pages pour y chercher ce que l’on y dit du Buëch dans le domaine de l’énergie, on trouve, en creux, le récit attendu de ce territoire, et sa place prévue dans l’univers régional du futur. Il y a quelques jolies cartes de couleur. Dans la partie diagnostic, il y a celle sur la qualité de vie des territoires. Le Buëch est couvert d’une couleur orange foncé, avec pour légende « territoires de montagne enclavés dont la population est exposée aux fragilités sociales », distincte du reste du département orange clair, pour « territoire de montagne à forte activité touristique ». Cette zone orange foncé descend un peu sur les Alpes-de-Haute-Provence.
« Ah ! Une patate entoure notre Buëch-Rosannais »
Que réservent donc nos aménageurs prospectivistes à des zones aux noms si peu engageants ? Sans doute ont-ils de belles propositions à faire pour nous sortir d’un présent si terrifiant qu’il faut le cacher derrière une énigmatique périphrase : enclavé, exposé… fragilité… brrr !
Dans un autre document au nom aussi peu avenant, le S3REnR (2), on trouve une autre carte sur laquelle RTE, le gestionnaire français du transport de l’électricité, auteur de cette projection futuriste écrite sous la dictée de la haute technocratie au service de notre destinée énergétique, dessine de jolies patates circonscrivant les zones vouées à accueillir des centrales photovoltaïques. Ah ! Une patate entoure notre Buëch-Rosannais d’une couleur violette, secteur à perspective de développement significatif de parcs photovoltaïques au sol ; d’autres patates de même couleur entourent le plateau d’Albion, la Haute Provence, les communautés de communes Alpes d’Azur et Pays de Fayence. Pour le Buëch-Rosannais par exemple, on prévoit de 400 à 500 MWc de puissance. Cela représente – si l’on ajoute aux surfaces des panneaux photovoltaïques les zones de circulation entre les panneaux, les voies de desserte et l’obligation légale de débroussaillement –, 1 000 à 1 500 hectares de surfaces défrichées.
Laissons-nous gagner par une irrépressible curiosité et superposons ces deux cartes, celle du Sradett et celle du S3REnR. Ô miracle, elles coïncident assez bien. Voilà que tout s’explique : ainsi le diagnostic réservé sur l’avenir de notre Buëch trouve-t-il ailleurs des réponses préconstruites, en forme de solutions salvatrices.
Réduction des services publics
Et voilà ce qu’un esprit mal disposé serait amené à lire entre les lignes de ces documents : aux yeux de la Région Paca, le Buëch n’a pas grand-chose pour lui. Il a en revanche grand besoin d’être aidé pour sortir de son enclavement, de sa fragilité, bref de son hyper-ruralité (3), en mettant ses terres ensoleillées mais mal valorisées, au service de la production d’électricité décarbonée bon marché que la région requiert. La faible démographie facilitera l’acceptabilité sociale de ces projets, d’autant mieux qu’elle serait anticipée – d’aucuns diraient accompagnée – par une réduction des services publics (écoles, santé, transport). Les derniers habitants finiront bien par partir, et de ce fait la population ne sera plus exposée ni aux fragilités sociales qui camperont ailleurs, ni à la laideur de ses paysages détruits que plus personne n’ira regarder.
On se prend à imaginer ce qu’un homme politique parisien aurait pu lancer en marge d’une réunion interministérielle sur le sujet : si l’on ne parvient pas à sortir un territoire des ornières de l’hyper-ruralité, alors il faut sortir les gens de ce territoire…
Étienne Decle
1- Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires.
2 – Schéma régional de raccordement au réseau des énergies renouvelables de Provence-Alpes-Côte d’Azur.
3 – Hyper-ruralité, Rapport établi par Alain Bertrand, sénateur de Lozère, 2014.
À lire la suite de ce texte, en forme de fiction : Vallée du Buëch, printemps 2050, vigilance rouge.