Le gouvernement a offert grâce à l’état d’urgence sanitaire une liberté totale aux opérateurs de téléphonie mobile pour implanter de nouvelles antennes-relais. Les associations dénoncent une mesure incontrôlable, qui pourrait permette à l’industrie de préparer le déploiement de la 5G.
« Un coup de maître des opérateurs. » C’est ainsi que Stephen Kerckhove, délégué général d’Agir pour l’Environnement, perçoit les ordonnances prises par le gouvernement dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. Celles-ci donnent en effet liberté totale aux opérateurs pour implanter de nouvelles antennes-relais. Il faut croire qu’il y avait urgence !
Officiellement, les règles qui encadraient encore (un peu) l’installation de ces matériels sautent uniquement durant la période d’urgence sanitaire. Les travaux des opérateurs ne doivent servir qu’à « garantir la continuité du fonctionnement des services et de ces réseaux ».
La Fédération française des télécoms nous indique ainsi qu’il « s’agit de pouvoir intervenir en urgence pour garantir l’intégrité du réseau dans cette période inédite de confinement, le cas échéant en installant des équipements à titre temporaire qui devront être démontés au plus tard dans les deux mois post état d’urgence sanitaire ». Mais ces restrictions sont loin de satisfaire les associations. « Effectivement, l’ordonnance telle qu’elle est écrite peut paraître rassurante, car les choses semblent bien cadrées. Mais elle doit être lue dans un contexte plus général, par rapport à ce qui a pu être constaté depuis une dizaine d’années », prévient Vincent Corneloup, avocat de l’association Robin des toits. Or, ce contexte est celui de libertés publiques en forte régression depuis une dizaine d’années.
Une double vigilance
Pierre-Marie Théveniaud, président de Robin des toits, lui emboîte le pas : « Bien évidemment, on nous dit que c’est temporaire. Mais on est quand même très habitués à la durabilité du temporaire… » Dans un communiqué commun avec Alerte Phonegate et le Centre de recherche et d’information indépendant sur les rayonnements électromagnétiques (Criirem), Robin des toits insiste : « Nos expériences jusqu’à un passé récent ont montré qu’il était quasiment impossible de faire retirer une antenne-relais installée. »
Vincent Corneloup exprime donc la nécessité d’une double vigilance. « Lorsque l’état d’urgence sera fini, soit les nouvelles installations devront être démontées, soit elles devront être soumises au régime de contrôle normal (autorisation de l’Agence nationale des fréquences, dépôt d’un dossier d’information en mairie et d’une déclaration préalable, Ndlr). Donc, si quelqu’un voit une antenne être implantée près de chez lui, il doit en prendre acte et pourra agir à la fin du confinement. » Deuxième vigilance : de nouvelles antennes ne peuvent être installées « que si c’est strictement nécessaire pour assurer le service durant l’état d’urgence sanitaire. Il est absolument hors de question que les opérateurs en profitent pour installer par exemple du matériel 5G ! »
La Fédération française des télécoms assure que l’objectif « est d’assurer la résilience de nos réseaux actuels et de couvrir le territoire en 4G », précisant que, « à ce stade, nous ne parlons bien entendu pas de 5G, car l’urgence est ailleurs. »
« Un coup bas »
Mais qui aura la capacité de vérifier que cet engagement est bien tenu ? Dans un communiqué, Priartem (1), France Nature Environnement, CNAFAL (2) et Agir pour l’Environnement dénoncent « un coup bas ».
Ainsi, la crise sanitaire liée au covid-19 pourrait servir d’accélérateur à la numérisation du pays, au grand dam de Stephen Kerckhove : « On nous affirme qu’avec le coronavirus, plus rien ne sera pareil, que tout est en train de changer… Bref, on nous refait le coup du tournant écologique de Macron qui a été annoncé trois fois déjà, avec tout le verbiage habituel. Là, il y a une situation d’urgence, et on va appliquer les recettes du passé pour préparer le monde de demain : le gouvernement prépare des exemptions fiscales massives, un plan de relance de l’industrie carbonée… Les exceptions liées à l’implantation des antennes sont du même acabit : plutôt que de réinterroger l’hyperconnection et la consommation d’énergie liée à tous ces réseaux, on va faciliter les installations pour permettre d’en accélérer le développement. »
Nicolas Bérard
1 – Association Pour rassembler, informer et agir sur les risques liés aux technologies électromagnétiques.
2 – Conseil national des associations familiales laïques.