À Juvaincourt dans les Vosges, un circuit automobile fait grand bruit. Des hectares de bitume, des terres chargées d’essence et des vrombissements du tonnerre de dieu… Le projet est un désastre écologique. Avec en filigrane, de bons vieux soupçons de conflits d’intérêts chez les élus locaux.
« Évidemment, qu’est-ce qu’on en a à foutre d’un couple d’oiseaux par rapport au spectacle de la bagnole ? » Au sein du collectif Coupe-circuit, on fustige le grand mythe du « sport automobile » qui perdure dans les campagnes vosgiennes. « On achète trois vélos électriques pour se donner bonne conscience et on laisse bitumer des hectares de prairies. Tous les efforts dans le département sont ruinés par l’unique construction de ce circuit automobile. C’est aberrant. »
À Juvaincourt, les travaux ont déjà commencé. Des bulldozers et des pelleteuses retournent la terre. En lieu et place d’une friche herbacée qui abrite des couleuvres, des oiseaux ou l’azuré du serpolet, un insecte protégé, on préfère voir un vrai circuit automobile homologué par le ministère des Sports, destiné à des voitures « grand tourisme », « des bagnoles qui montent à 150 facilement ». Pas moins de 5 hectares de terres vont être bitumés. Sans compter les émissions de gaz à effet de serre et les nuisances sonores.
Le circuit automobile devrait s’installer à côté d’une piste de karting déjà existante.
Le circuit automobile roulera 320 jours par an, à raison de 8 heures par jour. Avec des courses tous les week-ends et des baptêmes de pilotages ou des cours d’école de conduite en semaine. « Sauf en janvier et en février où on pourra faire des barbecues peinards », ironise-t-il.
Turbo sauvage
Le collectif Coupe-circuit pointe des décibels au-delà des seuils autorisés, car les études n’ont pas été faites avec des voitures de courses. Des merlons, sortes de buttes de terre de plusieurs mètres de hauteur, seront installés autour du circuit et sont censés suffire pour protéger les oreilles des riverains, déjà prêts à déserter la région. Le circuit impose d’utiliser au moins 45 000 mètres cubes de terre. Heureusement, tout cela « sera végétalisé en permanence ».
Toujours selon le porteur de projet, les gaz d’échappement devraient cracher 546 tonnes de CO2 en trois ans. Mais l’étude d’impact a écarté les rejets indirects. Plus de circulation, des camions chargés de voitures à l’intérieur, et sûrement un projet hôtelier autour du circuit pour accueillir les riches Luxembourgeois qui viendront se détendre le turbo.
Le collectif d’opposants craint également que 35 000 mètres cubes d’eau polluée par l’activité des voitures de course ne s’infiltre dans les nappes phréatiques vosgiennes chaque année. Gomme des pneus, hydrocarbures, poussières de frein, métaux lourds… Rien n’est prévu pour traiter ces eaux. Tout va être filtré comme par magie par 6 bacs à gravillons, d’une épaisseur de 25 centimètres. Un système inutile selon plusieurs experts en la matière. « C’est passé comme une lettre à La Poste. Et on n’imagine même pas s’il y a des fuites de réservoir dans les bacs à gravillons. »
Le maire n’est pas tout blanc
Mais pourquoi donc laisser les coudées franches à un projet aussi démentiel ? Sans tenir compte de l’enquête publique dissimulée à la hâte aux citoyens, les élus locaux prétextent la création de plusieurs emplois dans la région. Certains sont encore plus enthousiastes, comme Philippe Nicolas, le maire de Puzieux, une des deux villes qui accueillent le projet. Après avoir épluché le dossier, le collectif Coupe-circuit a découvert que l’élu avait pris des parts dans la société, neuf mois avant d’accorder lui-même le permis d’aménager du circuit automobile. Pis, le siège social de la société du circuit automobile a été domicilié à l’adresse du maire. Celui-ci est actuellement suspecté de prise illégale d’intérêts par Anticor 88.
Clément Villaume