L’EZLN, armée zapatiste de libération nationale, a connu douze jours de guerre, neuf années de négociations avec le gouvernement, puis a instauré, avec la société civile, un gouvernement autonome dans 38 communes du Chiapas. Anaï, jeune descendante des premiers combattants zapatistes, retrace l’histoire de cette armée qui s’est battue pour défendre les populations indigènes de cette région du sud-ouest mexicain.
Casquette violette vissée sur la tête, jean et baskets, Anaï, 18 ans, est l’une des cinq femmes de la délégation zapatiste accueillies dans les Alpes-de-Haute-Provence par la coopérative Longo Maï. Elle est déléguée de la base d’appui de son village (voir page 8) . Face aux collectifs militants de la région, avides de l’entendre lors de la journée d’accueil, elle raconte dans quelles conditions s’est créée l’EZLN (Ejército zapatista de liberación nacional), l’armée zapatiste de libération nationale. Au milieu du XXe siècle, « quand sont arrivés les finqueros, ils ont occupé les terres et ont asservi la population. Un seul de ces grands propriétaires pouvait posséder 20 à 25 000 hectares. Nos parents, grands-parents et arrières-grands-parents ont travaillé pour ces gens-là. Récolte, élevage, construction de larges murs de deux mètres de haut pour servir de clôture au bétail… Le travail était très dur, car ils devaient porter sur le dos des pierres venant de la montagne. Si la tâche quotidienne n’était pas effectuée, ils étaient fouettés. Si quelqu’un manquait de respect au patron, il était suspendu à un arbre dans un filet. Quand le patron voulait violer une femme, il l’appelait pour nettoyer sa chambre ou la coinçait sur les chemins du domaine. Ces horreurs ont poussé nos aïeux à s’organiser. Ils ne savaient pas qu’au même moment, en ville, d’autres s’organisaient pour venir lutter dans la forêt ».
De la lutte clandestine à l’entrée en guerre
Le 17 novembre 1983, dans la forêt lacandone, qui borde la frontière avec le Guatemala, l’EZLN était fondée, et la lutte clandestine dans l’état du Chiapas commençait. « Les six premières personnes étaient trois métis et trois indigènes, poursuit Anaï. En 1985, ils ont commencé à recruter, et se sont assurés que les camarades ne buvaient pas d’alcool, pour éviter qu’ils ne parlent. Les personnes recrutées en recrutaient d’autres, et les effectifs ont grandi rapidement. Ils ont reçu une formation politique et militaire. Le premier enseignement concernait les raisons de la pauvreté et de l’injustice. Les combattants étaient surtout des hommes. Ils ne connaissaient que la boue, la nuit, la pluie et la souffrance. Puis les femmes ont commencé à produire de la nourriture et coudre des uniformes pour les insurgés et les miliciens (1). En 1986, le premier bataillon de l’EZLN a été créé. Consultés pour savoir s’ils étaient prêts à sortir de la clandestinité, les villages ont répondu positivement. Les deux piliers d’action étaient la santé et l’éducation. En 1993, un compagnon a perdu la vie dans une attaque de l’armée. Les insurgés n’ont pas répliqué, car ils n’étaient pas prêts. C’est le 1er janvier 1994 que l’EZLN est entrée en guerre, le jour même où a été appliqué le traité de l’Alena (Accord de libre-échange nord-américain), qui consacre les échanges internationaux et incarne l’emprise du libéralisme. » La guerre à proprement parler n’a duré que douze jours.
Le droit à la terre et l’instauration d’une gouvernance autonome
« Après 1994, les insurgés ont réfléchi à l’organisation de l’armée. Leur but était de libérer les terres, et de faire avancer la libération des peuples jusqu’à la capitale. La politique du gouvernement était de nier l’exisence des peuples indigènes. Le 19 décembre 1994, l’EZLN a déclaré l’existence de 38 villages autonomes zapatistes dans le pays. Les femmes ont commencé à participer politiquement. Lors de la Convention nationale démocratique à Guadalupe, les délégués se sont comptés par milliers. Ils ont diffusé des informations au niveau national et international. En février 1995, le gouvernement a envoyé des milliers de militaires dans les communautés zapatistes, dans le but d’arrêter les commandants et de démanteler les zones. Les zapatistes ont pris le maquis et connu la faim, la fatigue et la maladie. Des enfants sont nés dans le maquis, certains sont morts, faute de soins. C’était la génération de nos parents ! Ce qu’ils ont vécu nous donne à nous, qui avons 18 ans, du courage, mais aussi de la tristesse et de la colère. Les militaires pouvaient détruire leurs cabanes, mais pas l’autonomie qui était dans leur cœur et dans leurs pensées ! S’il n’y avait plus de cabane pour se réunir, ils se retrouvaient autour d’un arbre pour travailler. En 2003, ils ont créé les caracoles et les assemblées de bon gouvernement (lire pp. 8 et 10). Dans ces assemblées, les femmes et les jeunes ont commencé à assumer des charges dans différents domaines : santé, éducation, communication. Nous, les jeunes, nous avons grandi dans l’autonomie et nous sommes l’avenir de l’EZLN. On est reconnaissants vis-à-vis de nos parents et de nos anciens, qui nous ont offert un grand livre ouvert. »
Propos recueillis par Nicole Gellot, novembre 2021
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