Tout part de l’enquête d’un journaliste d’investigation indépendant. Trois ans d’enquêtes, près de 250 témoins, des dizaines de documents exclusifs… Victor Castanet livre le second tome d’une plongée inquiétante dans les secrets du groupe Orpea, leader mondial des Ehpad et des cliniques. Il dénonce maltraitances au quotidien et magouilles politiques.
« Dès que je suis arrivée dans cette unité, dès que l’ascenseur s’est ouvert, j’ai compris que quelque chose n’allait pas. Déjà il y avait cette odeur terrible de pisse, dès l’entrée. Et je savais que c’est parce que [les résidents] n’étaient pas changés assez régulièrement. […] Ça s’est révélé être le cas […]. Je ne vous dis pas à quel point il fallait se battre pour obtenir des protections pour nos résidents. Nous étions rationnés : c’était trois couches par jour maximum. Et pas une de plus. Peu importe que le résident soit malade, qu’il ait une gastro, qu’il y ait une épidémie. Personne ne voulait rien savoir », décrit Saïda Boulayane, une auxiliaire de vie de l’Ehpad Les Bords de Seine, à Neuilly-sur-Seine. Pourtant, nous sommes dans une résidence de « luxe », où les tarifs d’hébergement vont de 6 500 à 12 000 euros par mois ! « Si l’un de mes protégés faisait sur lui dans l’après-midi, j’étais contrainte de le laisser dans ses excréments pendant plusieurs heures », poursuit-elle.
« En 3 mois, elle a perdu 20 kilos et l’usage de la parole »
Restrictions sur l’hygiène, les soins médicaux, la nourriture (« pas plus de deux biscottes au petit-déjeuner »), sur le personnel, pensions à des prix exorbitants, duperies sur les fournitures… Orpea est le numéro un mondial de ce secteur juteux qui spécule sur la détresse des plus âgés : 65 000 employés à travers le monde, 1 156 établissements en Europe et en Amérique latine, dont 220 Ehpad en France. Tout cela pour un chiffre d’affaires de 4,3 milliards d’euros en 2021. Autre exemple effrayant : l’écrivaine Françoise Dorin est restée dans l’établissement durant moins de 3 mois. « C’est le temps qu’il a fallu pour lui faire perdre 20 kilos, et l’usage de la parole. C’est le temps qu’il leur a fallu pour laisser une escarre dégénérer et finir par faire la taille de mon poing. C’est le temps qu’il a fallu pour la mener à un état irréversible. […] On vous fera des courbettes et des grands sourires. On vous fera croire que tout est sous contrôle… La vérité c’est que cet établissement à plus de 7 000 euros le mois n’est pas un organisme de santé, mais une entreprise à but lucratif », s’insurge l’un de ses petits-fils. Outre les maltraitances, ce sont les connivences politiques dont a joui la direction d’Orpea qui scandalisent. L’ex-directeur médical de la branche « clinique » du groupe témoigne des relations intimes entre les hauts dirigeants du groupe et Xavier Bertrand, actuel président de la région Hauts-de-France et ancien ministre de la santé de 2005 à 2007, en charge des octrois des autorisations de création d’Ehpad. Pour débloquer un dossier, le patron du groupe Orpea a d’ailleurs plusieurs fois appelé son pote Xavier. Côté administratif, la direction est informée à l’avance de la date des contrôles et se fait rembourser illico des frais soi-disant engagés pour les résidents. Après les premières révélations, la Macronie a même envisagé de nationaliser le groupe Orpea. Idée enterrée. Tout comme le projet de loi sur le grand âge et la dépendance qui devait être votée avant fin 2019, puis fin 2021, jusqu’à sa mise au placard définitive.
CV
À lire le tome 2 Les Fossoyeurs, Victor Castanet, éd. Fayard, 2022, 9,50 €, sorti le 25 janvier.
Cet article est tiré de notre dossier « Tranches de vieux », publié en février 2023. Retrouvez les autres articles de ce dossier :
– Arlette, Gilberte et la musique pour tous ;
– Comment reconnaître un “vieux” ? ;
– Orpea pue toujours la pisse ;
– Ma mamie à nue ;