Beaucoup de vieux se disent jeunes, certains jeunes sont déjà vieux… Pas simple d’identifier le vrai vieux ! J’ai demandé de l’aide à une experte. Marion Villez est spécialiste de la sociologie du vieillissement à l’université Paris-Est-Créteil.
L’âge de faire : Les vieux ont-ils toujours existé ?
Marion Villez : Si l’âge et le vieillissement sont des faits biologiques, la catégorie « vieux », elle, est sociale, comme les autres catégories liées à l’âge. « L’enfance » par exemple, n’existait pas au Moyen Âge. On traitait ce qu’on appelle aujourd’hui les enfants comme des adultes. Idem pour les personnes âgées. Les « vieillards » étaient identifiés comme tels dans la mesure où ils étaient fragiles. Ceux qui étaient trop pauvres et sans famille rejoignaient ainsi la catégorie des « indigents », au même titre que les orphelins, les « fous », etc. Leur âge biologique n’était pas déterminant.
La proportion des personnes âgées dans la société n’a jamais été aussi forte. Pourtant, rares sont celles qui se disent « vieilles ». Comment cela se fait-il ?
On a vu que la manière dont on percevait la vieillesse et les vieux était un construit social. Or nos sociétés occidentales ont une vision très dépréciative de la vieillesse. Cela parle en creux de nos valeurs dominantes : l’individu est d’autant plus valorisé qu’il est performant et autonome. Le “vieux” incarne tout le contraire.
Moi qui balance entre deux âges, à quel âge je deviendrai vieux ?
Pour beaucoup d’enfants, vous l’êtes sûrement déjà ! Pour l’administration, on devient une « personne âgée » à 60 ans. Si un handicap survient avant 60 ans, par exemple, la personne pourra bénéficier de la prestation de compensation du handicap. S’il survient après, elle sera considérée comme une personne âgée « dépendante » et sera éligible à l’allocation personnalisée d’autonomie. Par ailleurs, l’âge de la retraite, évolutif en fonction des réformes, marque fortement l’entrée dans la catégorie sociale.
À quoi je serai censé me conformer ?
La vision que la société se fait des vieux correspond à deux pôles caricaturaux. D’un côté, celui de personnes hyperactives, profitant de leur temps libre et bénéficiant d’une forme d’insouciance ; de l’autre, celui de personnes complètement dépendantes, où la vieillesse se résume à la décrépitude. Ces visions caricaturales sont bien entendu très éloignées de ce que vivent les gens. Les réalités sont très diverses, liées aux conditions sociales, aux parcours de vie. Mais ces représentations ont des conséquences sur les personnes concernées, car l’entourage – institutions, proches, médias – « attend », en quelque sorte, que leur comportement corresponde à ces stéréotypes. Les personnes sont alors incitées à intérioriser ces attentes sociales, ce qui peut être très violent. Je pense par exemple aux personnes très âgées, qui n’ont que peu droit de cité.
Les personnes très âgées sont invisibilisées, mais pas les baby-boomers !
La génération du baby-boom a fait bouger beaucoup de lignes, notamment du fait de son poids démographique. Avec l’arrivée de cette génération aux âges avancés, le regard sur la vieillesse va sûrement évoluer. On constate déjà que les personnes âgées sont de plus en plus actrices de la façon dont elles vieillissent. Il y a par exemple de plus en plus d’initiatives, en ce qui concerne les lieux du vieillir, comme alternatives à l’Ehpad.
Propos recueillis par Fabien Ginisty
Photo : Pixabay
Cet article est tiré de notre dossier « Tranches de vieux », publié en février 2023. Retrouvez les autres articles de ce dossier :
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