Avec sa réforme des retraites, ses éléments de langage post-coronavirus et une politique de destruction des services publics, le président Macron redéfinit la vieillesse. Il casse avec minutie nos systèmes de santé, de solidarité, le droit au travail, mais aussi au repos. Et tend à faire du retraité un·e « fragile » travailleur·se, plus précaire, plus isolé·e.
” Puisqu’on vit plus longtemps, il faut travailler plus longtemps.” Cette vieille rengaine de droite constitue, au mot près, les bons vœux du président Macron. Dans ses folles annonces, on a bien sûr le report de l’âge légal de départ et l’allongement de la durée de cotisations. Même les syndicats bien réformistes arrivent à en être outrés, c’est dire. Mais en filigrane, c’est toute une vision de la société que nous propose le locataire de l’Élysée, qui redéfinit la vieillesse. N’oublions pas que le senior à la retraite est d’abord pour lui un électeur facile (1), un consommateur, un propriétaire, un épargnant. Ce sont « ses » vieux, son électorat, qu’il se doit de bichonner un peu. Mais ce calcul politicien cache mal sa vision de la vieillesse, qu’il analyse à travers des tableaux comptables et une paire de lunettes libérales : les vieux coûtent cher au système de santé, font peser des charges sur les entreprises et n’en foutent pas une. Il souhaite donc mettre les « futurs vieux » au boulot, en rognant autant que possible leur droit au repos.
La naissance du troisième âge
Il n’y a pas si longtemps, le vieux, la vieille, c’était cette personne trop usée pour continuer à trimer, à la charge de sa famille, qui l’installait dans le fauteuil du salon en attendant qu’elle passe l’arme à gauche. En France, sous l’impulsion du ministre du Travail Ambroise Croizat et sa clique de communistes, la retraite par répartition naît vraiment en 1945, en même temps que la création de la Sécurité sociale (2). Une véritable révolution. On vient d’inventer un instrument de solidarité pour garantir des moyens d’existence digne à celles et ceux qui ne peuvent ou ne doivent plus bosser. Pourtant, jusqu’à la fin des années 60, la majorité des ouvriers ne vivait même pas jusqu’à l’âge de la quille. En 82, nouveau bouleversement. François Mitterrand abaisse l’âge de départ de 65 à 60 ans, alors que l’espérance de vie continue de grimper. La retraite n’est plus simplement une petite étape de la vie pour finir ses jours sans mourir de faim. C’est l’invention du 3e âge, du 4e âge, des seniors. Les aînés sont actifs et constituent une nouvelle catégorie sociale. Ils se dégagent du temps libre pour s’adonner à d’autres activités.
Le pouvoir déteste nos vieux
Car le retraité n’est pas le roi de la glandouille. Délestées du métro-boulot-dodo, les personnes âgées tiennent un rôle social important auprès des collectivités et de leurs familles. Elles s’impliquent localement, s’engagent bénévolement dans des associations, gardent leurs petits-enfants… Pas moins de 85 % des grands-mères et 75 % des grands-pères remplissent cette fonction régulièrement ou occasionnellement (3). Bref, si on repousse l’âge du départ, c’est toute la société qui bat en retraite. La gestion de l’épidémie de Covid-19 a mis en lumière la vision des anciens qu’entretenait le pouvoir. Les discours d’Emmanuel Macron les réduisaient à la dépendance, au déclin physique, à la sénescence, au petit vieux fragile qui perd la boule. Des gens à vacciner de toute urgence et à tenir à l’écart du reste de la population pour mieux les (sur)protéger. Privés de contact humain, beaucoup de vieux « se sont laissés mourir de détresse et de chagrin », explique la gériatre Véronique Lefevbre des Noëttes (4). Autant de mépris, de déconsidération et… d’infantilisation des ancien·nes. Nos politiques seraient-ils frappés d’âgisme ? L’âgisme est un terme qui décrit la discrimination subie par les personnes âgées – et toute discrimination liée à l’âge –, théorisé par un gérontologue.
Les femmes, la dernière roue du carrosse
L’âgisme passe aussi par la précarité. Aujourd’hui, selon une étude de la CFDT, près d’un·e retraité·e sur deux (48 %) vivrait en dessous du seuil de pauvreté. Et ce sont les femmes les plus touchées. Vie au foyer, maternité, salaire moindre, travail pas toujours déclaré, nos vieilles galèrent. Avec une carrière hachée, le taux plein ressemble à un Everest inatteignable. Et puisqu’il faut tout privatiser, c’est encore les vieux qui sont les premiers touchés. Des facteurs pressés, des guichets de train ou de bus fermés, les démarches administratives à mener seul devant son ordinateur… La « dématérialisation », qui est en fait une déshumanisation, augmente leur dépendance aux autres, notamment à leurs enfants aidants. Selon les Petits frères des pauvres, plus de 4 millions de personnes âgées de 60 ans et plus n’utilisent jamais internet. Cette exclusion touche plus particulièrement les plus de 80 ans – soit plus d’1,7 million de personnes –, et les personnes aux revenus inférieurs à 1 000 euros. La solution proposée par Macron ? Soit tu bosses et tu te mets au pli, soit tu crèves (dans un Ehpad). Moralité : inutile d’être âgé pour être un vieux con !
Clément Villaume
Illustration : © Marion Pradier, pour L’âdf
1 – Avant de réaliser ce dossier sur les « vieux », j’avoue que je leur en ai beaucoup voulu au soir du premier tour de la présidentielle de 2022 : les 65 ans et plus sont ceux qui ont le plus voté pour Emmanuel Macron (37,5 %). À l’inverse, ce sont eux qui ont le moins voté Marine Le Pen (18 %). Conservateurs, mais pas fachos.
2 – Voir le documentaire Les retraites. Trois siècles d’Histoire, réalisé par le Centre d’histoire sociale des mondes contemporains (CHS), 2020, 2e épisode : « Vers l’âge d’or », 52 min.
3 – Dans le rapport Les personnes âgées dans la société, publié par le Conseil économique et social.
4 – À écouter : « L’âgisme, la discrimination par l’âge », émission de France Inter, le 2 janvier 2023.
5 – L’âgisme. Une forme de discrimination qui porte préjudice aux personnes âgées et prépare le terrain de la négligence et de la violence, Lucio Bizzini, revue Gérontologie et société, 2007 sur cairn.info.fr
Cet article est tiré de notre dossier « Tranches de vieux », publié en février 2023. Retrouvez les autres articles de ce dossier :
– Arlette, Gilberte et la musique pour tous ;
– Comment reconnaître un “vieux” ? ;
– Orpea pue toujours la pisse ;
– Ma mamie à nue ;