Les communautés zapatistes respectent une stricte discipline, issue à la fois de leur organisation militaire et de leur expérience autogestionnaire où les décisions de tous s’imposent à chacun.
« Mandar obedeciendo », pour « diriger en obéissant ». Omniprésente, la devise rappelle que chez les zapatistes, l’application des règles communes ne se discute pas. « La discipline, le respect des ordres et des consignes » viennent en premier dans la liste des sept principes sur lesquels s’est appuyée la construction de l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN). En France, où la désobéissance est valorisée par les cultures anarchiste et libertaire, cette stricte organisation peut désarçonner les collectifs qui accueillent les délégations du Chiapas. Refus de répondre à des interviews, interdiction des boissons alcoolisées, intransigeance sur les précautions sanitaires… Ces règles correspondent à des enjeux importants pour les zapatistes.
Venu·es rencontrer les luttes locales, ils et elles ne veulent pas « être des stars ». Ils voyagent en petites délégations soudées, attentives à transmettre fidèlement la réalité de leur lutte et à prendre des notes studieuses pour pouvoir partager avec leurs communautés ce qu’ils ont appris. Au Chiapas, les journalistes et autres chercheurs sont invités à prendre le temps de comprendre en faisant avec les communautés, plutôt que d’arriver directement avec leurs questions. De même, durant la « Route pour la vie », les demandes d’interview sont déclinées poliment : « Si vous voulez savoir, restez avec nous, écoutez les discussions, posez vos questions avec les autres, comme tout le monde. »
La « loi sèche » imposée par les femmes
Autre sujet sur lequel les délégations ne dérogent pas : l’alcool. Pendant la lutte clandestine, la perte de contrôle provoquée par l’ivresse était un danger dont les insurgés devaient se prémunir. « En 1985, il y a eu une grande phase d’observation pour vérifier que les camarades recrutés ne se bourraient pas à la gnôle et n’allaient pas en ville raconter n’importe quoi », raconte Anaï, une jeune membre de la délégation. Mais ce sont les femmes qui, à l’issue d’une consultation spécifique, en 1993, ont imposé la « loi sèche ». Considérant que l’alcoolisme chez les indigènes du Mexique était un problème d’hommes, issu de la colonisation, dont les femmes payaient les conséquences, leur « loi révolutionnaire » l’a interdit totalement. (1)
Quant aux exigences sanitaires des délégations envers les personnes qui les approchent (autotest préalable, port du masque y compris en extérieur), elles s’expliquent par les galères que provoqueraient un ou plusieurs cas de Covid-19, par la quarantaine que se sont imposée les zapatistes avant de quitter le continent américain, et par les difficultés qu’ils ont eues à être admis en Europe – leurs vaccins, chinois et russes, n’étaient pas reconnus.
Les villages prêtent main forte
Au-delà de ça, le principe d’obéissance est au cœur des deux dynamiques politiques qui construisent le zapatisme. La première, verticale, est celle de l’organisation militaire : on obéit aux ordres d’en haut. L’EZLN a initié la révolution, et joue toujours un rôle défensif face à la répression et aux tentatives de sabotage. Les villages se tiennent prêts, en cas de besoin, à envoyer des miliciens lui prêter main forte, et à participer à la logistique militaire. Des entraînements ont lieu ; les jeunes défilent armés de bâtons. L’influence des chefs militaires est aussi politique : certains d’entre eux, à l’exemple du sous-commandant Marcos, devenu Galeano, expriment avec verve l’idéal révolutionnaire, et sa mise en œuvre pragmatique et tâtonnante. Ils ont longtemps été la voix des zapatistes vers l’extérieur, et continuent de « conseiller » le mouvement.
Mais « mandar obedeciendo » signifie aussi que les personnes qui exercent un pouvoir politique, ne le font qu’en obéissant à la base. C’est toute la dimension horizontale et autogestionnaire du zapatisme qui, pour fonctionner, exige que personne ne se sente au-dessus des règles décidées par tous. Défense de l’organisation sociale maya, lutte contre l’accaparement des terres et l’esclavage, théologie de la libération (2), guérilla d’extrême gauche : né d’un cocktail unique, le zapatisme est une expérience humaine complexe, qui nous invite à un échange « non pas de marchandises, mais de pensées : “Moi, je te dis ma pensée, et toi, tu me dis la tienne” ». (3)
Lisa Giachino, novembre 2021
1 – Cette loi a aussi interdit les mariages forcés, reconnu le libre choix des femmes concernant les naissances, et revendiqué leur participation à tous les niveaux de décision – depuis le couple jusqu’aux espaces politiques.
2 – Courant de pensée chrétien d’Amérique latine, qui prône l’émancipation des pauvres.
3 – Galeano (ex Marcos), dans Pistes zapatistes (éd. Albache, Nada, Solidaires, 2018), un livre rédigé par l’EZLN.