Les développements des capacités des ordinateurs promettent un bel avenir aux discours complotistes. Le métier de journaliste est donc lui aussi promis à un bel avenir. Or, la défiance est pour l’heure forte envers la profession. Il est grand temps qu’elle reprenne du crédit. Pour ce faire, le mieux ne serait-il pas qu’elle reconnaisse qu’elle n’a pas été à la hauteur pendant la crise du Covid ?
Sur les réseaux sociaux, vous avez peut-être vu Emmanuel Macron en sang dans une manifestation, Donald Trump coursé par des policiers, le pape François emmitouflé dans une doudoune… Des images hyper réalistes concoctées par des programmes informatiques qui utilisent la masse des photos circulant sur le web. Grâce à la puissance de calcul des ordinateurs, nous sommes capables de générer des images de situations qui n’ont jamais existé. Des images, mais aussi, avec les « agents conversationnels » type ChatGPT, des histoires complètement bidon, mais hyper réalistes.
Fin mars, des centaines d’experts en intelligence artificielle (IA) ont appelé à un moratoire dans leur propre domaine de recherche. Ils prédisent des « perturbations politiques dramatiques (en particulier pour la démocratie) » causées par ces logiciels surpuissants. Parmi les signataires, on trouve des universitaires, mais aussi, bizarrement, des businessmen de l’IA, tels qu’Elon Musk. Cet alarmisme est-il une stratégie commerciale pour faire parler de l’intelligence artificielle et l’imposer comme étant un « déjà là », pourtant jamais débattu démocratiquement ? C’est ce que pensent beaucoup d’experts non signataires. Quoi qu’il en soit, le sujet a « fait le buzz » dans les médias traditionnels. France Inter y a même dédié une « journée spéciale » : « IA : sommes-nous prêts ? »
En dernier recours, pour distinguer le vrai du faux, on s’en remet à quoi ? À des « institutions », c’est-à-dire un ensemble de règles et de procédures jamais parfaites, mais qui font globalement leurs preuves pour distinguer le vrai du faux, indépendamment de la vision des puissants : la « démarche scientifique » et « journalistique », incarnées par des personnes payées pour respecter ces règles. Or, la crise du Covid a été révélatrice du mauvais fonctionnement de ces institutions. Trop rares sont les chercheurs et les médias qui ont, sans même critiqué, seulement interrogé la réalité présentée comme évidente par les pouvoirs publics et l’industrie pharmaceutique. « Les médias se sont montrés alarmistes durant la pandémie tout en manifestant une volonté de rassurer la population à tout prix au sujet des vaccins, juge Mme Michal-Teitelbaum, médecin généraliste et relectrice de la revue Prescrire, seule revue médicale francophone indépendante de l’industrie pharmaceutique. Dans la sidération générale, les bases scientifiques des décisions des autorités sanitaires ont peu été remises en question et les journalistes se sont beaucoup autocensurés, accordant aux vaccins un statut sacré, intouchable », poursuit la doctoresse, en conclusion d’un long article publié dans Le Monde Diplomatique. (1) Sans remettre en question l’efficacité des vaccins, celui-ci interroge la sous-médiatisation de leurs effets secondaires et de l’opacité des protocoles scientifiques ayant conduit à leur mise sur le marché. Ces manquements journalistiques, parmi d’autres, ont conduit à une défiance de la part d’une partie de l’opinion vis à vis des médias lors de la pandémie, défiance qui subsiste.
Imaginons une journée spéciale sur France Inter, intitulée Covid : pourquoi n’avons-nous pas été à la hauteur ? » Les journalistes expliqueraient pourquoi ils se sont interdit certains sujets, certains invités, pourquoi la politique gouvernementale a été rarement interrogée, alors que c’est justement leur métier… Autocensure, concentration capitalistique, incompétence, pression au travail, sociologie… qu’importent les raisons qui ont conduit au naufrage : sans cette remise à plat, la défiance subsistera. Inutile de se proclamer « rempart contre les fake news » quand on n’interroge pas sa propre pratique. Plus dangereux que ChatGPT : le déni journalistique ?
Fabien Ginisty
1 : « Covid, vaccins et science aux origines d’une défiance », Ariane Denoyel, Le Monde diplomatique, avril 2023.