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À l’inverse des fleurs intensives qui viennent de l’autre bout de la planète, Soizic Drouet a lancé sa ferme florale à Pont-Aven, dans le Finistère. Elle y cultive des fleurs qui sortent du lot, sans pesticides et presque sans pétrole.
« J’étais dans le métier depuis dix ans, mais il n’y avait plus de saisonnalité, plus de parfum dans les fleurs traditionnelles, je ne m’y retrouvais plus trop. » Dans son petit hectare de fleurs de toutes les couleurs, Soizic Drouet se balade au milieu des vivaces. C’est sa première année de production à Pont-Aven. Des fleurs qui ont tout de la belle salade du coin ou de la tomate du jardin : elles sont bios, locales et de saison.
« On a encore le schéma des gens qui veulent des bouquets où ils connaissent le nom de toutes les fleurs. Les magasins ont tous les jours les mêmes choses, de janvier à décembre, explique la fleuriste-paysanne. Il n’y a plus que quelques variétés par saison. Les horticulteurs ne se concentrent que sur quatre ou cinq productions par an : des roses, des lys, des tulipes, des freesias… Ce sont des cultures intensives dans des serres chauffées. Mais aujourd’hui, il y a beaucoup moins de demande dans ces fleurs-là. »
En pétard contre la fleur hollandaise
Soizic continue de composer ses bouquets. Elle essaie de ramener de la diversité avec des vivaces, des annuelles qui poussent très bien en plein champ et qui ne demandent que très peu d’eau, sans être traitées chimiquement. Elle cultive déjà une cinquantaine de variétés différentes, et compte bien en avoir plus d’une centaine dans les années qui viennent. « Dans les périodes creuses, je ramène d’autres choses dans les bouquets : des feuillages, des petits arbustes, des baies… Ça pousse les gens à découvrir de nouvelles plantes. »
Alors ça y est, on en a fini avec la fleur rose bonbon de la Saint-Valentin qui dépérit amoureusement dans un vase après seulement une journée ? Pas tout à fait. Entre 85 et 90 % des fleurs coupées vendues en France viennent de l’étranger. Bien souvent d’Afrique ou des Pays-Bas. « Même ce qui est produit en France part en Hollande pour revenir ensuite chez les fleuristes français. Ils sont imbattables au niveau de la logistique et des prix de transport. » Pour les émissions carbone, on repassera.
Monsanto Versus fiente de poulet
En bio, Soizic Drouet propose des prix équivalents aux fleurs bataves. Et ne se déplace pas à plus de 20 à 30 kilomètres autour de Pont-Aven. En tout, elle aimerait livrer une dizaine de fleuristes en Bretagne qui ont déjà donné leur accord. Pas besoin de serres chauffées. Il y a de la pluie et des températures douces dans le Finistère sud. Et la terre garde bien l’humidité. Les fleurs y poussent très bien. Bien sûr, il faut que ça voyage moins loin. « Mes tiges coupées tiennent mieux, car il n’y a pas d’écart de température, elles sont toujours dans l’eau. Même avec des journées où il fait 30 degrés, les fleurs se portent très très bien. »
« Et puis, les fleurs que l’on achète en magasin sont des produits extrêmement traités. Il n’y a pas de contrôle. On peut très bien les arroser de pesticides et les vendre chez un fleuriste seulement quatre heures après. » À La Fleur Bretonne, on travaille avec des purins et des engrais naturels pour éviter les intrants toxiques. De la fiente de poulet à la plantation, de l’ortie pour que ça s’enracine bien, du savon noir pour les invasions de pucerons, de la potasse pour faire fleurir… Tout au compte-goutte. Et les rares déchets repartent directement au compost.
La cultivatrice ne produit des tiges que de mars à octobre. « Quand on s’installe en agriculture, on nous parle toujours de rendement. C’est plus compliqué avec des fleurs. On a eu du mal à se faire suivre par les banques, car selon elles, le projet était instable avec la conjoncture… » Pour se lancer, elle a donc dû créer un financement participatif et a récolté plus de 12 000 euros. Soizic participe également au Collectif de la fleur française qui milite pour la « slow flower », un mouvement pour des emplois heureux, de la biodiversité, pas de chimie… « Il y a presque une ferme florale qui s’installe toutes les semaines dans le pays, s’enthousiame-t-elle. Il y aura très bientôt un tissage de plein de fermes dans toute la France ! »
Clément Villaume