Est-ce pour fêter l’année bissextile qu’un nouveau lot de réformes de l’assurance chômage doit démarrer en 2024 ? Pour l’une d’elle peut-être, même si c’est un tantinet cynique : désormais, que le mois compte 31 ou 29 jours, les chômeurs en seront indemnisés 30, alors qu’avant, le calcul était au jour près. Cela fait perdre cinq jours par an et même six les années bissextiles. C’est comme ça, pour tout le monde, et c’est plus simple pour prévoir le versement des allocations. Une forme de sécurité, donc, avant tout. Bon il semble que l’application de cette mesure et d’autres, validées en novembre dernier dans la convention de l’assurance-chômage entre syndicats et patronat attende encore un peu dans les cartons.
Qu’importe. Cela peut paraître dérisoire, cinq jours perdus par an, six les années bissextiles. Mais cumulé avec toutes les autres réformes que subit l’assurance chômage depuis au moins 2017, c’est une goutte de plus.
Le vase déborde-t-il pour autant ? Peut-il même déborder ?
Quand on est au chômage, difficile de se rebeller, d’être en grève efficacement. Il existe bien des organismes pour vous aider, des syndicats qui vous défendent, mais il existe aussi fréquemment une honte qui vous accable, venue d’un peu partout, jusque de votre propre discours intérieur. Alors sortir dans la rue pour revendiquer des droits…
Au 1er janvier 2024, avec l’application de la loi « Plein emploi », Pôle Emploi est devenu France Travail. Passons sur le nom. France Travail regroupe, en un réseau et un guichet unique, feu Pôle Emploi, les missions locales (pour les jeunes), Cap emploi (accompagnant les personnes en situation de handicap), l’État et des collectivités locales, pour « garantir un accompagnement et des services encore plus adaptés aux besoins des personnes sans emploi et des entreprises qui recrutent ». C’est l’occasion de trouver de nouvelles manières d’accompagner peut-être, mais aussi de contrôler. Même les employeurs sont mis à contribution, pour signaler sur une plateforme dédiée, des salariés refusant certains contrats. Selon les conditions ces derniers pourraient perdre leurs allocations-chômage.
C’est surtout le fait d’inclure au dispositif les personnes touchant le RSA et de conditionner leurs aides à 15 à 20h d’activité hebdomadaire, qui a fait couler de l’encre. Même si les contours sont flous et que l’application de ce texte serait pour 2025, la pente est dangereuse et on y est lancé.
On perçoit à quel point il nous est difficile de revoir notre rapport au travail et à sa valorisation, de considérer différemment nos activités, au sens large. Des parents fiers de leur fille au RSA qui fait plein de choses… ne s’expriment pas encore beaucoup ailleurs que dans nos pages courrier.
Pour l’anecdote, le logo de France Travail a été réalisé par des salariés de Pôle Emploi, « graphistes volontaires », pour une « démarche participative inédite », censée « permettre à chacun des agents de Pôle Emploi de s’approprier le futur logo et d’en réduire les coûts de création ». Les graphistes inscrits au chômage ont-il été sollicités ? Passons aussi. Finalement pourquoi pas. Le bénévolat coûte aujourd’hui en effet moins cher à la collectivité. Il est multiple. D’ailleurs, les « assistés » sont bien souvent actifs bénévolement et se retrouvent « assistants » : pour des voisins, de la famille, des associations… sans contrepartie. « Personne ne survit émotionnellement à l’inactivité doublée de la solitude qu’elle engendre », disait Anthony dans le rapport Un boulot de dingue, dont nous parlions dans le numéro de janvier. Arrêtons de considérer les chômeurs et les chômeuses comme des fainéants et regardons de plus près les réformes qui les accablent si l’on veut éviter, entre autres, d’aggraver des troubles de l’estime de soi et des dépressions diverses. Il serait dommage de voir là le sens pour le gouvernement actuel, d’avoir regroupé en un seul ministère ceux de la santé, du travail et des solidarités.
Lucie Aubin