Alors que ses promoteurs aiment l’associer à la transition écologique, le smartphone ne peut fonctionner que grâce à une infrastructure extrêmement gourmande en eau, ressources minérales et électricité.
Une voiture ne sert à rien. Un smartphone non plus. Ces affirmations peuvent paraître excessives, elles sont pourtant assez incontestables… Commençons par l’exemple de la bagnole. Imaginez-vous chez vous, avec votre caisse dans le jardin ou au pied de votre immeuble. On ouvre désormais la focale et, ô surprise !, tout autour de chez vous, le paysage ressemble à ce qu’il était à certaines époques du Moyen Âge : de la forêt à perte de vue, pas une autoroute à l’horizon, pas même une petite départementale. Qu’est-ce que vous allez bien pouvoir faire de votre voiture ? Avancer de quelques centaines de mètres, si vous parvenez à slalomer entre les arbres ? Et une fois que le réservoir sera vide, vous aurez l’air malin… Oui, parce que dans ce décor naturel, évidemment, il n’y a pas la moindre station service à l’horizon ! Désormais, votre petit bolide peut tout juste vous servir d’abri en cas d’orage.
Cette constatation confirme en grande partie l’assertion de départ : prise seule, une voiture ne sert, quasiment, à rien. Pour pouvoir s’en servir, son propriétaire doit pouvoir s’appuyer sur une méga-infrastructure. Ne serait-ce que pour alimenter le moteur, il faut, à grands traits : des forages pour extraire du pétrole, des oléoducs pour lui faire traverser les continents, des pétroliers pour lui faire traverser les océans, des raffineries pour en faire du carburant, puis des camions citernes pour emmener tout ça jusqu’à des pompes à essence, afin que l’automobiliste puisse dégainer le bon pistolet (n’allez pas me mettre du sans-plomb dans un diesel !) et faire couler le précieux liquide dans le réservoir.
« Petits gestes » en numérique
Et puis il faut des routes (on en a construit 1 million de kilomètres rien qu’en France) ou au minimum des chemins carrossables. Toutes ces infrastructures sont absolument indispensables pour que les bagnoles, vroum vroum, nous servent réellement à quelque chose – le mieux restant évidemment de s’en passer pour limiter la pollution, mais là n’est pas le propos.
Quoique… Car il est un secteur que l’on nous jure « indispensable pour mener la transition » : le numérique. Avec son appareil emblématique, qui est devenu central au sein de notre société : le smartphone. Grâce à lui, l’humain·e moderne (autrement dit l’humain·e hyper connecté·e) peut pratiquer le covoiturage pour limiter ses émissions de CO2, peut « dématérialiser » ses démarches administratives pour économiser du papier, allumer les lampadaires à son passage (lire L’âdf n° 190) ou gérer ses radiateurs à distance pour économiser de l’électricité. Bien sûr, la fabrication d’un ordiphone nécessite l’extraction de 183 kg de matières et une bonne quantité d’énergie, dont de l’énergie humaine sous forme d’exploitation, voire d’esclavage.
Mais l’important, nous explique-t-on, c’est que grâce à tous les « petits gestes écolos » que le smarphone rend possibles, les gains environnementaux dépasseront bientôt les dégâts causés par sa fabrication et permettront à notre société de devenir plus « propre ».
Revenons à l’idée du départ : un smartphone ne sert à rien, ou quasiment. Comme la voiture qui peut servir d’abri, le smartphone peut être utilisé pour caler une table ou, paraît-il, comme brosse à chiottes (1). Mais pour qu’il soit réellement « utile », il a besoin, lui aussi, d’une méga-infrastructure. Son carburant à lui, ce sont les données. Son fonctionnement est donc indissociable de l’existence de data-centers qui non seulement stockent, mais surtout gèrent les datas, les analysent, les font passer à la moulinette d’algorithmes afin que la bonne page apparaissent sur le bon écran. Et pour naviguer au milieu de tout ça, il faut des routes : l’ADSL, la fibre optique, les antennes relais et désormais, les satellites.
Cent réacteurs nucléaires
Toute cette méga-infrastructure est directement adossée à une autre : celle de l’électricité. Au final, comme le rappelle Guillaume Pitron, « compte tenu notamment de sa consommation d’eau, d’énergie et de sa contribution à l’épuisement des ressources minérales, [le numérique] génère […] une empreinte équivalente à deux ou trois fois celle d’un pays comme la Grande-Bretagne ou la France. Sur le volet énergétique, les TIC consomment environ 10 % de l’électricité mondiale, soit l’équivalent de 100 réacteurs nucléaires ». (2) Et voilà que notre cher président annonce la relance d’un grand plan de construction nucléaire et de prolongation de la durée de vie des réacteurs déjà en fonctionnement, qui pourraient atteindre 60 ans ! Le smartphone n’est pas un outil de la transition, mais bien une catastrophe écologique et sanitaire : c’est tchermobile !
Nicolas Bérard
1 Ne possédant pas de smartphone, nous n’avons pas pu vérifier cette information. Nous demandons donc à celles et ceux qui en possèdent un de faire le test et de nous communiquer le résultat de l’expérience. Merci d’avance.
2 L’enfer numérique, de Guillaume Pitron, éd. Les liens qui libèrent.