En prônant un « retour à la terre » et un attachement à leurs « racines », des militants proches de la droite dure ont décidé de créer des fermes alternatives. Ces projets s’inspirent des idées de décroissance et d’écologie tout en développant une doctrine nationaliste et réactionnaire. Enquête en Bourgogne sur cette extrême-droite version bio.
Au cœur du parc naturel du Morvan, Nicolas Pezeril est permaculteur depuis 16 ans. Assis sur son tracteur, il est occupé à faucher son pré. C’est le mois de juin, la saison des foins. Fils de médecins, ancien infographe parisien, celui qui se définit très sérieusement comme « un mâle blanc » a quitté sa vie de citadin pour retourner à la campagne.
Il a acheté 30 hectares de terrain dans le petit village de la Grande-Verrière pour se lancer dans la permaculture, une agriculture sans engrais, sans pesticides, qui utilise le moins de pétrole possible. Derrière ces grandes ambitions écolos, Nicolas Pezeril est aussi « national-socialiste », et membre du cercle Proudhon, nationaliste et monarchiste, proche de l’Action Française fondée par Charles Maurras.
Lui qui avait manifesté contre Jean-Marie Le Pen en 2002, s’est doucement rapproché des idées d’Alain Soral et de son mouvement Égalité et Réconciliation, qui prône « une gauche du travail et une droite des valeurs ». Alain Soral, ancien du Front National et du Parti Communiste, est devenu au fil des polémiques, un essayiste très critiqué par les médias pour ses thèses misogynes, homophobes et négationnistes. « Mais je reste profondément gauchiste », lance Nicolas Pezeril.
« On n’est plus maîtres chez nous »
Cheveux blonds, barbe naissante, sourire en coin, Nicolas Pezeril parle de son travail et glisse, au fil de la discussion, sur sa vision politique des choses. « L’écologie est pourrie. Elle est trop attentive aux souffrances des autres, trop dans la charité », poursuit le permaculteur, qui prône un retour aux traditions et à la souveraineté nationale.
« Je ne suis pas bien-pensant, j’ose tout dire et tant pis si ça dérange. Nous vivons dans une dictature molle, on est zombifiés par cette putain d’école qui nous détourne de la réalité. On n’est plus maîtres chez nous. » Après plusieurs expériences, Nicolas Pezeril s’est spécialisé dans les arbres fruitiers et l’élevage de moutons. Mais rien n’est destiné à être commercialisé. « Je préfère produire pour moi et ma famille, pour être le plus autonome possible. »
Le jeune permaculteur vit du RSA et de son livre, Mon retour à la terre, le guide du néo-rural, publié sous le pseudo de Nicolas Fabre, chez Kontre Kulture, la maison d’édition d’Égalité et Réconciliation. Il anime également des stages de permaculture payants, en partenariat avec le mouvement. « Je suis heureux de connaître Alain Soral, qui est un antibiotique à la guerre civile », sourit l’homme, qui travaille en étroite collaboration avec l’idéologue controversé.
Depuis quelques années, des cercles de militants, proches des idées de l’extrême-droite, se réapproprient les valeurs que l’on croyait réservées aux zadistes et à la gauche altermondialiste. Le bio, l’écologie, la décroissance, Égalité et Réconciliation s’y intéresse de très près. Au point d’avoir créé une épicerie en ligne baptisée « Au bon sens », qui propose des « produits sains et enracinés », souvent issus de l’agriculture biologique. En 2018, on pouvait aussi y acheter la cuvée de beaujolais « Le Béret », décrite comme une « quenelle viticole », en référence au fameux geste de Dieudonné. L’association politique gère également la boutique « Prenons le maquis », qui vend du matériel de survie en nature.
« L’écologie est une idée conservatrice »
Dans le Morvan, aux confins de plusieurs départements bourguignons, d’autres lieux prospèrent. Un peu plus au sud, dans la Nièvre, Alain Soral a investi dans le dur en achetant en 2014 une ferme à Ternant, située à l’écart du village. À l’entrée du hameau, la boîte aux lettres réceptionne les courriers d’Alain Bonnet, le vrai nom de l’écrivain, qui « habite ici une partie du temps » et qui aimerait en faire à la longue sa maison de campagne.
Une famille réside à l’année à la ferme des Chapuis, dont Régis Schneider, qui s’occupe de la rénovation du lieu. Pour l’instant, le projet agricole reste encore flou. Mais un verger et un potager sont déjà présents. « Et pourquoi pas un agriculteur si le projet est viable », précise-t-il.
Avant d’être des projets écologiques, ces fermes sont avant tout des lieux politiques et communautaires. La ferme des Chapuis existe pour « créer du lien social et faire se rencontrer les militants ». Mais pourquoi avoir choisi le Morvan pour s’implanter durablement ? À la ferme des Chapuis, on estime que la région « n’est pas très loin de Paris, avec une ligne TGV à proximité. Et puis, les prix de l’immobilier sont bas. Les maisons et les terrains ne valent rien. Sans oublier le cadre magnifique ».
Chez ces adeptes du retour à la terre, qui réclament « l’indépendance de la France », l’écologie est centrée sur l’Homme, qu’ils considèrent supérieur à l’animal. « L’être humain a intérêt à protéger ce qui l’entoure. Par exemple, si je maltraite ce que je mange, je me maltraite. Si je prends soin de la nature, c’est surtout pour me protéger et préserver ma propre personne, explique Régis Schneider, de la ferme des Chapuis. Par définition, l’écologie est une idée conservatrice, puisqu’elle veut préserver ce qui existe. D’ailleurs, les premiers penseurs de l’écologie sont de droite, voire d’extrême-droite. » Une affirmation très discutable. S’il existe bien une écologie de droite, et si certaines critiques de la société industrielle et de la modernité ont un aspect « conservateur », un grand nombre de précurseurs de l’écologie étaient ancrés à gauche. Citons par exemple l’américain Henri D. Thoreau, (1817-1862), engagé contre l’esclavage et pour la désobéissance civique ; ou le géographe français Élisée Reclus, condamné au bannissement pour avoir soutenu la commune de Paris.
Ce retour au local et au bio cache un profond attachement à l’identité. L’amour de la terre renvoie au terroir et aux territoires, donc à l’idée de frontières, qu’il faut garantir. Qui dit racines, dit races, qui amènent à une hiérarchie au sein de l’espèce humaine.
Aujourd’hui, des penseurs comme Alain Soral ou Alain de Benoist, qui se définit comme « un conservateur de gauche décroissant » intellectualisent ce discours et picorent leurs idées chez des philosophes très différents. Sur le site de Kontre Kulture, la maison d’édition d’Égalité et Réconciliation, on trouve aussi bien des livres de Karl Marx ou Henry David Thoreau qu’une réédition de Mein Kampf, le best-seller d’Adolf Hitler.
Nicolas Bonanni, auteur d’un petit livre sur ces intellectuels de « l’autre droite », écrit à propos de leur pensée : « Leur anticapitalisme est tronqué. (…) [Il] n’a pas pour but de défaire l’exploitation, l’aliénation et l’impérialisme, mais de réenchanter le monde capitaliste avec une dose de « valeurs », de religion et de morale, c’est-à-dire d’ajouter une aliénation à une autre. »
« Européens libres, fiers, enracinés et solidaires »
Toujours dans la Nièvre, « la Maison des elfes », située dans le village de Mouron-sur-Yonne a fait parler d’elle dans la presse locale. Anciennement baptisée « la Desouchière », l’habitation réservée aux « européens libres, fiers, enracinés et solidaires » est impliquée dans des Amap, cultive un potager collectif, des buttes de permaculture et a même construit un hôtel à insectes.
Mais des militants antifascistes ont découvert que la maison des elfes cachait une autre ambition : s’enraciner dans un village délaissé pour pouvoir placer un « maire souchien » – autrement dit un français « de souche » – au pouvoir et ainsi contrôler l’école, les budgets et construire petit à petit une communauté raciste et identitaire. Plusieurs jeunes du Cercle Grevelon, une ancienne association nationaliste de maraîchage, qui proposait des paniers bio en Côte-d’Or, se sont greffés au projet.
Entre les vignes et les prairies du Morvan, une poignée d’irréductibles veulent encore croire au village gaulois. N’ayant pas remis la main sur la recette de la potion magique, ces militants qui refusent les étiquettes politiques privilégient une approche plus douce de leur rapport à la nature. Paniers bios, permaculture, écologie, cette extrême-droite qui ne veut pas en être une fait écho au discours d’un certain maréchal Pétain, qui disait que « la terre, elle, ne ment pas ».
Clément Villaume