Depuis plusieurs années, extrême-droite et royalistes se prétendent féministes pour mieux servir leurs propos. Découlant des groupes identitaires, ce féminisme goût Rivarol veut s’étendre en province. Un mouvement qui utilise très judicieusement la dynamique des groupes auxquels il prétend s’opposer, et accuse les étrangers tout en niant l’existence du patriarcat occidental.
Début octobre à Tours, le groupe d’extrême droite des Tours et des Lys, organisateur des cercles de paroles Prométhée invitait un collectif se présentant comme féministe identitaire, le collectif Nemesis. Issue de la mythologie grecque, Nemesis est une déesse de vengeance. Fille de Nyx, la déesse de la nuit, elle est née par parthénogenèse, une reproduction sans « mâle ».
Nemesis, identitaires minoritaires
Surfant sur l’actuelle vague du féminisme, les Nemesis se définissent comme anticonformistes et refusent de suivre le féminisme mainstream, le féminisme occidental issu des classes aisées. À l’automne 2019, le collectif fait son entrée en marge de la marche Nous Toutes. Des pancartes détonnent : “52% des viols commis par des étrangers” ou encore « Caroline de Haas, tu veux élargir le trottoir… ». Les réactions des féministes déjà présentes dans le cortège ne se sont pas faîtes attendre. Rapidement éjectées de la marche, les vengeresses ont par la suite dénoncé la violence, le manque de tolérance des féministes présentes et des groupes d’extrême gauche.
Porté par Alice Kerviel, le groupe né à Paris en 2019 est encore en formation mais souhaite s’étendre en province. Les militantes s’activent principalement sur les réseaux sociaux avec l’organisation de visioconférences et d’interviews. Némesis se veut refuge des femmes désabusées, déçues des féminismes actuels.
La critique du patriarcat bien loin derrière la peur de l’immigration
En apparence, les revendications des identitaires semblent rejoindre le combat mené par l’ensemble des féministes. Égalité des salaires, fin du harcèlement, etc. Cependant, derrière la défense du droit des femmes se cache un discours qui converge vers une vérité unique. Selon Nemesis, l’étranger est devenu le suspect n°1 du harcèlement, des viols et des agressions sexuelles commises en France.
D’après le CNRTL, Centre national de ressources textuelles en ligne, l’étranger est « celui, celle qui n’est pas d’un pays, d’une nation donnée; qui est d’une autre nationalité ou sans nationalité; plus largement, qui est d’une communauté géographique différente ». Dans le langage courant, l’étranger est aussi associé à l’immigré et au migrant. Formant une seule et même masse, le terme devient une catégorie sociale et juridique discriminante.
En pointant du doigt les étrangers, le collectif omet la responsabilité d’hommes blancs dans les mécanismes de domination vis-à-vis des femmes. Pour l’historienne Christine Bard, « la négation du patriarcat occidental est caractéristique de l’extrême-droite. Elles attaquent les immigrés et leur système patriarcal qu’elles considèrent comme une atteinte aux droits des femmes françaises. »
Selon Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême-droite, une partie des femmes se sont tournées vers la complémentarité des rôles plus que l’égalité. « Pour les Nemesis, le féminisme dénature la féminité. Elles sont très remontées contre l’immigration, plus que contre le patriarcat. Elles associent immigration et violences sexuelles. »
Ce rapprochement entre des idées prétendument féministes et des idées d’extrême droite forme le fémonationalisme. Comme l’explique Christine Bard dans son livre Féminismes, 150 ans d’idées reçues, le fémonationalisme est un discours qui consiste à utiliser la thématique des droits des femmes pour défendre une politique de fermeture nationaliste, raciste et xénophobe.
« Ce qui m’inquiète, c’est l’alliance qui peut être faite entre ce discours dit féministe et les trajectoires actuelles de l’extrême-droite qui sont la xénophobie et l’islamophobie », redoute Christine Bard. Des thématiques autrefois minoritaires sur les plateaux, à présent largement relayées par des chaînes d’information en continu telles que CNews, BFM ou encore LCI.
La façon dont le discours anti-immigration a été repris, par des jeunes et plus particulièrement, des femmes, tend à le légitimer. En effet, ce mouvement se veut séduisant, et utilise une expression orale tournée vers les jeunes. De plus, ces groupes d’extrême-droite (identitaires ou non) agissent par mimétisme face aux groupes d’extrême-gauche. Nettoyage des berges, maraudage, collage de stickers dans les villes. Les actions sont troublantes par leur ressemblance. Ainsi, pour un jeune peu politisé, la différence entre les idées de chaque groupe ne se voit pas immédiatement. Enfin, l’utilisation de l’argument féministe peut servir de base au recrutement. Pour Jean-Yves Camus « la nouvelle génération d’identitaires à complètement intégré le fait qu’il fallait donner de la visibilité à leurs militantes ».
Décrypter le langage identitaire
Telle une recette de cuisine, l’argumentation utilisé par les militantes repose sur des ingrédients précis.
Tout d’abord, le collectif utilise des arguments d’expérience permettant de penser une réalité comme une généralité. Par exemple, si plusieurs femmes sont victimes de harcèlement par des hommes racisés, les militantes vont utiliser ces expériences pour dire que les harceleurs, agresseurs sexuels ou violeurs sont la plupart du temps issus de ces catégories. Les militantes veulent confirmer leur pensée en exposant des faits divers allant dans ce sens.
La communication visuelle se veut choquante. Le compte Instagram des Nemesis égraine les profils d’hommes de nationalités étrangères tenus responsables de viols et d’agressions sexuelles. Ces montages, sur lesquels apparaissent des visage et des citations, sont entrecoupés de chiffres sur le viol et d’images de femmes disparues.
Le viol, souvent commis par un proche
Des agressions commises par de “bons” Français, il n’est jamais question. Dans le livre En finir avec la culture du viol paru en 2018, l’auteure Noémie Renard met pourtant en évidence le fait que la plupart des viols et des agressions sont commis dans un cercle proche de la victime (enquête Virage). Le viol commis par un inconnu dans la rue, aussi appelé « mythe du viol », est proportionnellement très faible. Il est notamment important de souligner qu’une grande partie des femmes victimes ne portent pas plainte lorsque leur viol et /ou agression sexuelle s’éloignent du stéréotype que l’on s’en fait. Cela fausse les statistiques régulièrement utilisées par les membres de l’extrême droite, dont Nemesis.
Les féministes, toutes “hystériques”
« Contrairement aux féministes, nous n’avons pas de haine contre les hommes. » Dans le discours des personne réticentes au féminisme, il y a un argument qui revient : celui selon lequel toutes les féministes détestent les hommes. Cette haine est souvent associée au concept d’hystérie, et laisse supposer que l’agressivité, la colère et la violence des femmes n’est pas un sentiment naturel tout aussi présent que chez l’homme.
Ainsi, Nemesis ne veut pas virer dans la « paranoïa », « la peur de l’homme » et vient dire à ceux qui se sentent menacés : nous aimons les hommes, nous défendons les hommes – blancs – et nous n’allons pas (trop) les remettre en question. Sur le plateau de TV Libertés, chaîne audiovisuelle d’extrême droite, la fondatrice du collectif affirmait en mars 2020 : « Nous sommes les grandes défenseur.es des hommes blancs, aujourd’hui pointés du doigt. »
Dans leur manifeste, les identitaires se définissent plusieurs objectifs. Dénoncer toutes les violences faîtes aux femmes, dénoncer l’impact dangereux de l’immigration sur les femmes occidentales, et promouvoir la civilisation européenne comme berceau de leur épanouissement. Ironiquement, elles invitent femmes et hommes issus de l’immigration à rejoindre leur combat patriotique.
Ana Rougier