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En Ariège, les marrons sont tirés d’affaire. D’irréductibles amoureux du territoire s’initient à la greffe de châtaignier pour sauver les variétés anciennes de l’oubli, assurer une biodiversité fruitière et relancer la production locale.
Rousse de Nay, Fine de Montfa, Patte de loup… Derrière ces sobriquets pleins de poésie se cachent des variétés anciennes de châtaignes à préserver. À Fabas, petit village situé dans le Volvestre en Ariège, les bénévoles des ateliers Rénova ont décidé d’acheter une châtaigneraie centenaire pour en faire un conservatoire castanéicole. Une jolie clairière bien exposée de 250 arbres, planquée au beau milieu de la forêt. « Depuis les années 50-60, le châtaignier a été totalement oublié. Aujourd’hui, on veut déplacer à nouveau la production pour que des jeunes se réinstallent sur le territoire », lance Francis Michaux, créateur et trésorier de l’association de sauvegarde du patrimoine fruitier.
En déambulant entre les châtaigniers, l’homme à la barbe blanche observe les arbres, avec son chapeau sur la tête. Il passe sa main sur un tronc noueux et fissuré. Au pied d’un arbre imposant, il récolte des bogues, ces capsules vertes et épineuses qui renferment les châtaignes. Sur les sept hectares de la châtaigneraie-conservatoire, il relève une dizaine de variétés « très intéressantes » en termes de goût, de calibre ou de facilité pour les éplucher.
« On ne pourra jamais nous empêcher de greffer »
« Des jeunes, on n’en manque pas. Ils quittent la ville, ils en ont marre, ils veulent travailler autrement… Mais ils n’ont pas de sous, pas de terres et peu de connaissances. Alors, on est là pour les aider », explique le retraité. L’association Rénova propose des séances de greffage de châtaignier, appelé « Cabot », « du nom du gars qui nous a expliqué la technique ». L’objectif est de défricher les forêts abandonnées pour prospecter des variétés locales, puis de greffer sur des coupes pour que les arbres reprennent. Le taux de réussite est très important car les greffons sont installés sur un système racinaire déjà existant.
Loïc Vincent, technicien au Conservatoire régional du châtaignier en Aveyron, est venu plusieurs fois pour former les Ariégeois à la greffe. « Il y a quelques années, la châtaigne était une ressource populaire. Mais à cause du progrès agricole, on s’est tournés vers des productions plus rentables. Alors, on a abattu les arbres pour alimenter les verreries ou pour en faire des piquets de vigne… Aujourd’hui, il faut sauver le patrimoine et les savoir-faire anciens, qui ont nourri des gens pendant des siècles. »
« C’est la démultiplication des savoirs, s’enthousiasme Francis Michaux, également engagé dans le réseau Semences paysannes. On forme entre 10 et 20 personnes à la greffe. Ensuite, on s’échange des greffons, on commande des porte-greffes… Ceux qui ont appris apprennent à d’autres et c’est tout un village qui sait greffer. En plus, on est autonomes. Ils auront beau nous pondre toutes les lois restrictives du monde, ils ne pourront jamais nous empêcher de greffer. » En dix ans, l’association Rénova a replanté 10 000 arbres sur le territoire et en a rénové autant. Elle vend aussi 2 000 porte-greffes chaque année.
Sur les hauteurs de Sainte-Croix-Volvestre, Francis Michaux fait un tour dans la châtaigneraie d’une personne âgée qui a bien voulu que Rénova s’occupe de ses arbres. Chez lui, entre 50 et 60 châtaigniers ont déjà été regreffés. « Quand on propose aux gens de rénover gratuitement leurs châtaigniers, de les greffer, de les entretenir et de les transformer, on nous répond : “ah ben oui, pourquoi pas”. »
« Le Facebook de l’Ariège »
Chez Pierre, Laurine ou Albert… La fédération Rénova dispose d’une quinzaine de vergers conservatoires, souvent installés chez de vieux néo-ruraux qui ont fait leur retour à la terre après mai 68, des « hippies » comme les gens du cru les ont appelés pendant longtemps. « En gardant des variétés locales anciennes, on veut aussi garder les techniques paysannes du coin. »
Dans ses ateliers, installés à Daumazan-sur-Arize, Rénova transforme les châtaignes en crème, en farine ou en conserves de marrons au naturel. Depuis une vingtaine d’années, elle a mis sur pied une Société d’intérêt collectif agricole (Sica) qui permet aux paysans et aux particuliers de venir transformer directement leurs fruits. « On a un pressoir pour le jus de pommes, un labo pour faire des confitures, une éplucheuse pour les châtaignes… Des fruits, il y en a partout et ça se perd. Alors si on propose aux gens de les valoriser, ils se disent qu’ils vont en replanter. »
Entre 15 et 20 personnes interviennent régulièrement à Rénova. « Ici, c’est un réseau social, sourit Valentin, un jeune stagiaire qui vient donner des coups de main. Des gens qui ne se connaissent pas se rencontrent au pressoir. C’est le Facebook de l’Ariège ! »
Garder « la mémoire des châtaignes »
En bord de route, Francis Michaux aperçoit deux arbres écroulés près d’un talus. « Ça fera un hôtel-restaurant pour les insectes. » Mais aussi plusieurs arbres secs, « en train de crever ». Pendant longtemps, les maladies ont décimé les châtaigniers, par manque d’entretien, comme l’encre, un champignon qui attaque les racines. « Aujourd’hui, il n’y a plus que des variétés hybrides dans les châtaigneraies intensives. Le problème est qu’elles sont moins résistantes aux maladies et aux intempéries, donc les producteurs sont obligés d’arroser de pesticides… »
Le retraité cueille une feuille de châtaignier déformée. L’arbre a été contaminé par le cynips, une larve qui pond dans les bourgeons et qui forme une galle dangereuse. « Au lieu de traiter les arbres, on va favoriser la présence du torymus, une petite guêpe qui bouffe la galle du cynips. C’est la lutte biologique ! »
Achetée pour quelques milliers d’euros seulement, la châtaigneraie sera bientôt sur la route d’un sentier d’interprétation pour sensibiliser les promeneurs à l’histoire et à la culture du châtaignier en Ariège. « Les vieux paysans ont gardé la mémoire des pommes, mais pas des châtaignes, commente Francis Michaux. On doit contourner leurs réflexions qui disent qu’il ne faut pas revenir en arrière et que s’ils ont abandonné les châtaigniers, c’est qu’il y avait une bonne raison ! »
Loïc Vincent poursuit : « Les variétés anciennes, c’est la clé pour maintenir une biodiversité cultivée et nourricière. Avec les hybrides modernes, trafiqués pour produire de gros marrons, on n’a presque plus de diversité génétique. On ne va quand même pas se retrouver avec seulement une poignée de variétés ! »
Clément Villaume