Dans l’histoire des chants qui rassemblent, évoquons les negro spirituals. Leur émergence est liée aux « work songs », chansons de travail qui rythmaient le labeur des esclaves déportés d’Afrique dans les champs de coton, dès le XVIIè siècle. Avec leur évangélisation, l’acculturation, le mélange de la langue anglaise avec celles des différents peuples, les références des chants évoluent vers celles de la Bible, principalement de l’Ancien testament. L’exode des Hébreux, fuyant l’Égypte sous la conduite de Moïse, à la recherche de la terre promise, inspire en particulier les paroles chantées, témoins des rêves et espoirs de liberté. « Le spiritual trace les grandes lignes de l’oppression vécue par le Noir dans la société esclavagiste mais à la description détaillée de sa condition il préfère une formulation religieuse de ses espérances », résume A.Darré (1).
Réhabilitation
Petit à petit, les spirituals s’accompagnent d’instruments, à commencer par les outils de travail. Avec l’abolition de l’esclavage, à la fin de la guerre de Sécession en 1865, d’anciens esclaves reprennent les minstrels shows, spectacles de la fin des années 1820 qui ridiculisaient les Noirs, initialement joués par des Blancs au visage peint. La lutte grandissante contre le racisme les fera disparaître après les années 1950. L’abolition permet l’ouverture de la Fisk University à Nashville en 1966, l’une des premières écoles créée pour les Noirs. Dans les années 1870, lors d’une tournée de soutien à la Fisk, qui manquait d’argent, les choristes de l’université – les Jubilee Singers, quatre hommes et cinq femmes, la plupart anciens esclaves, entonnent quelques spirituals arrangés. Alors habitué aux minstrels shows, le public de l’Ohio a les larmes aux yeux. « Je ne sais pas quand est la dernière fois que quelque chose m’a autant ému que les Jubilee Singers », écrivit Mark Twain en 1873. « Il faut avoir été esclave soi-même pour ressentir ce qu’était cette vie, et en transmettre le pathos à travers la musique. » (2)
Déposer le fardeau
Les spirituals sont souvent basés sur la « technique responsoriale » : un soliste lance des phrases chantées et le chœur lui répond un refrain. Parmi les titres d’un album des Jubilee Singers, la chanson Down by the riverside en est un bon exemple. Là-bas dans la rivière, sont déposés armes, fardeaux, boucliers… Pour ne plus apprendre la guerre. La chanson date d’avant la guerre de Sécession. Les phrases du soliste évoquent des références bibliques et la vie des esclaves. Et bien entendu, la chanson a connu quelques réécritures. Le gospel prendra peu à peu le relais des spirituals, avec davantage d’instruments et de références à Jésus, en une « révolte musicale contre une Amérique raciste » (3).
Lucie Aubin
*Je vais déposer armes et bouclier dans la rivière, ne plus apprendre la guerre, y laisser mon fardeau, mes soucis et mes peines. (trad. Tue-tête).
1 Musique et politique, Les répertoires de l’identité, chap.15 Negro Spiritual et construction identitaire, Alain Darré, PUR, 1996 en ligne sur books.openedition.org.
2 On trouve deux versions un peu différentes de cette histoire sur nationalgeographic.fr et theconversation.com
3 vcbg.fr
Quelle version écouter ?
Sur l’internet mondial, écoutez celle des Fisk Jubilee Singers, ou cette version revisitée d’une formation nantaise, les Gospel rivers.
Les paroles :
Gonna lay down my burden,
Down by the riverside,
Down by the riverside,
Down by the riverside.
Gonna lay down my burden,
Down by the riverside,
I ain’t gonna study war no more.
Refrain
I ain’t gonna study war no more,
Study war no more,
Ain’t gonna study war no more.
I ain’t gonna study war no more,
Study war no more,
Ain’t gonna study oh war no more.
Gonna lay down my sword and shield
Down by the riverside,
Down by the riverside,
Down by the riverside.
Gonna lay down my sword and shield
Down by the riverside,
I ain’t gonna study war no more.
Refrain
Variante du couplet :
-Gonna stick my sword in the golden sand. (Je vais planter mon épée dans le sable doré)
-Gonna try on my starry crown. (Je vais essayer ma couronne d’étoiles)
-Gonna shake hands around the world. (Je vais serrer des mains autour du monde)
-Gonna climb upon that mountain. (Je vais grimper sur cette montagne)
-Gonna climb the road to heaven. (Je vais escalader la route du paradis)
Source : Mama Lisa’s world