« Danser encore », c’est le titre et le refrain d’une chanson du groupe HK et les Saltimbanks, reprise par des centaines de personnes qui se retrouvent sur les places publiques, pour la chanter, la danser, la partager, et la faire entendre aux quatre coins du pays.
8 avril 2021, Paris, gare de l’Est. Les voyageurs cheminent en tirant leurs valises, les contrôleurs contrôlent, la police surveille. Dans cette ambiance morose du quotidien « covidisé », deux personnes sortent leurs trombones et commencent à en jouer. Ils sont rejoints par des guitaristes, une caisse claire, une violoniste, des chanteuses, des chanteurs, des danseurs, des danseuses. Portées par la musique, les voix raisonnent dans le grand hall, qui reprend subitement des couleurs :
Les protagonistes sont de plus en plus nombreux. De dix, ils passent à vingt, puis trente, quarante. Les badauds s’approchent, et le groupe grossit, encore, à cinquante, puis cent personnes, sous le regard désormais impuissant des policiers : « Nous sommes des oiseaux de passage. Jamais dociles ni vraiment sages. Nous ne faisons pas allégeance. À l’aube en toutes circonstances. Nous venons briser le silence. » La chanson se poursuit, les visages sont souriants, le ton à la fois joyeux et revendicatif. On sent l’effet cathartique de l’exercice, comme un cri qui a besoin de sortir, collectivement, et d’être entendu. Et puis, fin de la chanson, tout ce petit monde se disperse, disparaît, en se promettant, certainement, de se retrouver la semaine suivante, pour « danser encore ». Le tout est filmé et diffusé sur internet. Moins d’un mois plus tard, la vidéo comptabilisait près d’un million de vues.
« JUSTE DES MUSICIENS QUI JOUENT… »
À Montpellier, Nancy, La Rochelle, Marseille, mais aussi à Barcelone, Lisbonne, Zurich, même topo. Le titre du groupe HK et les Saltimbanks s’est diffusé comme une traînée de poudre à chanson dans tout le pays, et même au-delà. Kaddour Hadadi, dit HK, a lui-même du mal à expliquer le phénomène. « On a débuté tout ça un peu naïvement : on a écrit une chanson, qu’on a chanté dans la rue, et on s’est filmés en train de le faire. Mais en le faisant, on se disait qu’il ne fallait pas qu’on se fasse choper par la police. Pourtant, chanter ne peut pas être délit, danser non plus ! La dérive autoritaire est telle qu’on nous fait croire que ça l’est. Et je crois que ça a marqué les gens, en voyant ces images, de se dire que c’était juste des musiciens qui jouaient dans la rue ».
La vidéo fait le buzz, et les demandes affluent pour proposer au groupe de participer à tel ou tel rassemblement. « On s’est retrouvés, nous, juste un petit groupe d’artistes, à recevoir des dizaines de demandes de gens qui nous disaient qu’ils n’en pouvaient plus, que ça leur ferait énormément de bien de passer un petit moment comme ceux qu’on montrait sur nos vidéos… C’est là qu’on a décrété “l’état d’urgence culturel et social”. » Ne pouvant pas répondre à chaque invitation, HK lance l’opération « Flash Mob général » : chaque samedi, à midi, celles et ceux qui le souhaitent ont rendez-vous pour se retrouver et reprendre en chœur cette chanson qui lui échappé, et dont les paroles et les partitions sont disponibles sur le site du groupe.
FAIRE CORPS
En 2015 déjà, suite aux attentats du 13 janvier, HK invitait, à travers la chanson « Ce soir nous irons au bal », à festoyer de plus belle, quitte à « danser entre les balles ». À cette époque, le gouvernement avait déclaré l’état d’urgence, qui n’était pas encore sanitaire. D’un état d’urgence à l’autre, et même si les éléments déclencheurs ne sont pas les mêmes, l’histoire semble se répéter. « Nos dirigeants ont une appétence pour l’autorité, pour le destin personnel, avec cette espèce de mythe de Noé, “je vais vous emmener dans mon arche et vous sauver”.
Mais non, ça ne marche pas comme ça ! On est des citoyennes et des citoyens, on vit dans un pays démocratique, on a des choses à affirmer, à proposer, à créer ! En 2015 comme aujourd’hui, on est dans cette même logique : ce n’est pas en nous repliant sur nous-mêmes et en ayant peur qu’on va sortir de ça », analyse le chanteur, qui observe d’ailleurs que les nouvelles études épidémiologiques semblent démontrer que les contaminations sont extrêmement rares en extérieur.
Alors, à samedi !
Nicolas Bérard
Photo © Fabrizio Tommasini