La coalition de la Déroute des routes milite pour un moratoire sur les projets d’aménagement routier. Exemple dans les Alpes, où une manifestation, en juin, revendiquait « No travo, no JO, no facho »
« Samedi, nous devons être nombreux-es pour dire que l’aménagement d’un territoire et ses infrastructures, c’est l’affaire de tous les habitant·es : c’est leur sécurité, écologique et climatique, c’est leur cadre de vie, leur argent… Nous devons garder le droit de ne pas nous taire ! »
À l’appel du collectif des Lichens, dans le cadre de la mobilisation nationale de l’Après-route proposée par la coalition de La Déroute des routes, une dizaine d’organisations militantes se sont rejointes pour défendre la montagne et ses habitants, rien de moins. Rendez-vous était donné en tenue de ski ou d’athlète des années 90 au col de Lus-la-Croix-Haute, samedi 22 juin à midi. À 1000 mètres d’altitude et à la jonction des départements de la Drôme, de l’Isère et des Hautes-Alpes, sous la banderole et la chanson « No travo, no JO, no facho » (1).
Biais de l’enquête
Les projets d’aménagement de la RD1075 font parler depuis longtemps dans le Trièves, une communauté de 27 communes situées sur le plateau du même nom. Un territoire traversé, sur 32 km, par la départementale 1075, qui en totalise une centaine pour relier le sud de Grenoble à Sisteron. Elle parcourt le Trièves puis la vallée du Buëch, jusqu’à sa jonction avec la Durance. Elle voit son trafic gonfler pendant la saison estivale et reste très fréquentée toute l’année par les camions de fret. Aux deux extrémités, on rejoint l’A51, qui fait polémique depuis les années 1990 et qui, d’après les militant·es, hante les esprits des décideurs. Pour Richard, venu en soutien depuis Grenoble : « Ici, on devrait ralentir, pour profiter du paysage ! » Mais les principales justifications du département de l’Isère pour engager les 57 millions d’euros de travaux sur ces 32 km, sont de « sécuriser la route », de « garantir le temps de trajet ». Et par là-même, « un développement économique et touristique pour le Trièves ».
Deux recours en justice contre l’autorisation environnementale et la déclaration d’utilité publique sont portés par des habitant·es et des agriculteurs·trices, dont certain·es voient leurs terrains préemptés, ainsi que par des collectifs et associations comme Trièves mobilité responsable (TMR). Selon leur analyse, cette RD ne compte pas significativement plus d’accidents mortels que les autres. Ils dénoncent en outre la dégradation de zones de flore protégée, de terres agricoles, le déboisement de 8 hectares de forêt, le manque de concertation et de prise en compte de la sécurité des cyclistes…
L’un des recours dénonce notamment une « tromperie de l’enquête publique », explique Anne. « Les communes traversées n’étaient pas au courant que les travaux envisagés ne concernaient pas seulement les 32 km, mais l’ensemble de la liaison Grenoble-Sisteron, en alternative au projet d’autoroute A51, reporté à après 2050. Ce sera la porte ouverte aux plus de 40 tonnes. »
« La sur-solution »
Côté Isère, sont donc surtout prévues des voies de dépassement, modifications de carrefours et élargissements de route. Côté Hautes-Alpes, dans une région où les villages traversés sont déjà aux prises avec une désertification des vieux centres – balafrés par la départementale – au profit de lotissements périphériques, on promet des surbaissements de ponts et contournements de communes… Permettant au trafic d’augmenter et aux camions de marchandises plus hauts et plus lourds de circuler. Actuellement, les plus de 44 tonnes utilisent l’autoroute entre Lyon, Valence et Avignon. « Notre route est destinée à devenir européenne et à doubler celle de la vallée du Rhône », déplore Anne.
« Générations futures, on s’en fout, fallait être là avant », « La surconsommation, c’est la sur-solution ! » La manif’ du 22 juin a pris un ton sarcastique, avec une cérémonie factice d’ouverture des JO 2030 vantant les mérites des canons à neige française en bioculture pour skier jusqu’à +35°C, ou de pistes sous toiture avec panneaux photovoltaïques… Avant de continuer par le blocage d’une portion de RD encadrée de bottes de paille et de gendarmes à moto, pour de fabuleuses « épreuves nolympiques », courses de lenteur et d’objets roulants de tous types. La perspective des JO 2030 dans les Alpes françaises, confirmée fin juillet, constitue en effet une justification de poids pour tous ces travaux (2).
Moratoire national
Un argument qui relie le tout aux échelles nationale et européenne. Avec un bel avenir pour les routes et les camions de marchandises, se profile un tout aussi juteux horizon pour l’extraction de granulat, dont les dégâts écologiques commencent à faire parler d’eux (3). Depuis sa création par une vingtaine de collectifs en mai 2022, la coalition de la Déroute des routes milite pour un moratoire sur les projets d’aménagements routiers. L’A69, prévue pour relier Toulouse à Castres, est « emblématique » de la nécessité de sortir du système du tout-voiture dans lequel les travaux ne promettent non pas moins de bouchons, mais tout simplement plus de trafic. « La coalition permet de faire de la route un sujet politique, explique Romain, qui en fait partie depuis le collectif SOS Oulala, contre le périphérique à Montpellier. Lutter contre de nouvelles routes est une manière d’alerter sur d’autres besoins plus urgents : « Relancer le ferroviaire et notamment les petites lignes, travailler sur la relocalisation et sur les déplacements que l’on ne fait pas, sur la démobilité. »
Lucie Aubin
1- Un enregistrement est à écouter sur notre site, rubrique « chanson au poing ».
2- D’où la présence dans la manifestation du collectif No-JO : no-jo.fr
3- Accumuler du béton, tracer des routes, Nelo Magalhaes, La fabrique éditions, avril 2024. Et L’âdf n°185, juin 2023.